Palestine – Indonésie : Au-delà des mythes, la promesse d’une fraternité lucide
À Jakarta, dans certaines mosquées, écoles ou universités, on raconte encore cette histoire : « Les Palestiniens ont été parmi les premiers à reconnaître notre indépendance en 1945. C’est pour cela que nous devons toujours les soutenir. »
Ils nous ont soutenus, dit-on. Et maintenant ?
Beaucoup la répètent sans en connaître les détails. Elle est transmise comme une parabole, un écho ancien d'une solidarité oubliée, une dette morale inscrite dans la conscience nationale. Une dette, peut-être. Mais aussi une simplification. Car la vérité, comme souvent, est plus complexe, plus humaine. Elle demande qu’on sorte des slogans pour regarder les visages.
Retour aux faits : qu’a-t-il vraiment eu lieu ?
Lorsque Soekarno proclame l’indépendance de l’Indonésie en août 1945, la Palestine n’existe pas encore en tant qu’État. Elle est sous mandat britannique, tiraillée entre deux mouvements nationaux antagonistes : sioniste et arabe. Le grand mufti de Jérusalem, Hajj Amin al-Husseini, figure islamo-nationaliste controversée, aurait exprimé un soutien à l’indépendance indonésienne dans certains cercles panarabes.
Mais ce geste était symbolique. Aucun État palestinien n’était alors capable de reconnaître officiellement l’Indonésie. Ce sont surtout l’Égypte, l’Inde et plus tard l’URSS qui fournirent le soutien diplomatique crucial. Les Palestiniens, eux, étaient eux-mêmes pris dans les affres de la dépossession à venir.
Pourtant, ce geste – réel ou non – a traversé le temps. Il est devenu un fil conducteur moral. Car dans les cœurs, ce n’est pas la précision diplomatique qui compte, mais l’émotion d’une main tendue entre deux peuples dominés.
Gaza et Jakarta : deux peuples, un même combat ?
Aujourd’hui, dans le nord de Gaza, l’hôpital indonésien de Jabalia résiste tant bien que mal. Construit en 2016 grâce à des dons du peuple indonésien, ce centre hospitalier a soigné des milliers de blessés. Son nom n’est pas un hasard : il incarne cette solidarité proclamée, concrète, que l’Indonésie veut offrir à la Palestine.
Mais ce geste généreux soulève aussi une question : que signifie vraiment soutenir la Palestine aujourd’hui ? Est-ce simplement dénoncer Israël dans les forums internationaux ? Ou brandir un keffieh le jour de la Nakba ?
Ce soutien ne doit pas être sentimental seulement. Il doit devenir politique, critique, conscient. Il doit s’ancrer dans une lecture du monde où la lutte des Palestiniens devient celle de tous les peuples soumis à la dépossession, à la ségrégation, à l’oubli.
Ce que les Palestiniens peuvent nous apprendre
Dans leur combat quotidien, les Palestiniens nous offrent une école de courage. Ils nous montrent qu’on peut vivre sous occupation, sous siège, sous menace permanente, et malgré tout résister, aimer, écrire, accoucher, enseigner. Qu’on peut tenir debout dans les ruines.
Ils nous apprennent aussi que l’injustice n’est pas éternelle. Que la mémoire peut être un bouclier. Que l’identité n’est pas une cage, mais une arme pacifique. Dans les universités de Gaza, dans les camps de réfugiés de Jordanie, dans les salles de théâtre de Ramallah, des femmes et des hommes continuent à rêver d’un monde plus libre.
Ils nous forcent à regarder au-delà de notre confort. À questionner nos privilèges, notre silence, notre consommation d’informations à moitié digérées.
Et surtout, ils nous demandent de ne pas les réduire à leur souffrance. De ne pas les aimer uniquement parce qu’ils sont victimes, mais parce qu’ils sont vivants, lumineux, complexes. Parce qu’ils portent, malgré tout, une dignité contagieuse.
Ce que les Indonésiens peuvent apporter
L’Indonésie, avec ses 270 millions d’habitants, sa démocratie fragile, son héritage anticolonial, peut offrir autre chose que des slogans. Elle peut porter une voix indépendante sur la scène internationale, refuser les logiques impériales, défendre une diplomatie de la justice et non du profit.
Mais cela exige du courage. Car soutenir la Palestine ne doit pas être un alibi pour cacher les propres silences internes : ceux face à la Papouasie occidentale, aux Rohingyas, à la pauvreté structurelle ou aux violences religieuses. La solidarité commence chez soi. Elle demande de la cohérence.
L’Indonésie peut aussi faire entendre aux pays arabes que la cause palestinienne n’est pas une affaire sectaire, mais humaine. Qu’elle doit rester universelle, et non otage des intérêts régionaux ou des manipulations géopolitiques.
Vers une solidarité globale : de la Palestine à toutes les marges
La vraie question n’est pas de savoir qui a soutenu qui en 1945. Elle est de savoir qui soutient qui aujourd’hui, concrètement, dans un monde en crise.
- Quand les peuples autochtones luttent pour leur terre, la Palestine est là.
- Quand les femmes d’Afghanistan ou d’Iran réclament leur dignité, la Palestine est là.
- Quand les exilés d’Afrique ou d’Asie sont rejetés aux frontières européennes, la Palestine est là.
Pas comme une victime exemplaire, mais comme un miroir. Une mémoire ouverte sur tous les autres combats.
Alors, faire de la lutte palestinienne une lutte globale, c’est refuser la normalisation de l’injustice, c’est tisser des ponts entre communautés opprimées, c’est défendre une éthique du refus, une pédagogie de la résistance. C’est dire : « Votre combat est le nôtre, pas parce que vous êtes musulmans, ou arabes, ou anciens amis, mais parce que vous êtes humains. »
De la mémoire au projet
Peut-être que le mufti de Jérusalem n’a jamais envoyé de lettre à Soekarno. Peut-être que ce geste n’a jamais eu lieu. Mais si nous avons envie d’y croire, ce n’est pas par naïveté, mais par désir : le désir d’un monde fraternel où les peuples s’entraident même quand ils sont faibles.
Ce que nous devons faire, aujourd’hui, ce n’est pas raconter les vieux récits glorieux, mais écrire de nouveaux liens. Plus justes, plus concrets, plus exigeants.
Parce que la solidarité ne se commémore pas. Elle se construit. Chaque jour. Elle réclame des engagements réels, au-delà du simple sentimentalisme.