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Billet de blog 19 août 2025

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Sumatra, l’île d’or : la trace d’un éclat disparu

Sumatra, jadis surnommée l’île d’or par les marins indiens et arabes, faisait rêver par ses rivières chargées de paillettes et ses royaumes flamboyants comme Srivijaya. Mais où est passé cet or ? Entre mythe et histoire, des chroniques anciennes aux mines coloniales, se dessine la disparition d’un éclat qui brille encore dans la mémoire.

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Sumatra, l’île d’or : la trace d’un éclat disparu

Il y a plus de mille ans, bien avant que les Européens ne cartographient les mers du Sud, les marins indiens parlaient déjà d’une île fabuleuse. Ils l’appelaient Suvarnadvīpa, « l’île d’or ». Les bouddhistes la mentionnaient dans leurs textes sacrés comme une terre lointaine, abondante, promesse de richesses et de sagesse. Les commerçants arabes, puis chinois, reprirent ce nom mystérieux, persuadés que là-bas, dans les forêts humides de l’équateur, l’or se ramassait dans le lit des rivières comme des cailloux.

Sumatra était une légende. Une île immense, couverte de jungle, ceinte de volcans, d’où partaient des caravanes maritimes chargées de métal précieux. Les premiers navigateurs qui l’apercevaient devaient croire à une terre bénie, un eldorado surgissant au milieu des tempêtes de l’océan Indien.

Quand l’or coulait des montagnes

Dans les hautes terres de Minangkabau, les rivières roulaient des paillettes d’or. Les habitants connaissaient l’art de laver le sable aurifère et transformaient ce métal en parures, en couronnes, en offrandes. Dans la vallée de Jambi, au royaume de Melayu, l’or n’était pas seulement un minerai : il était le cœur d’un commerce qui reliait Sumatra à la Chine des Tang, à l’Inde des Gupta, et jusqu’aux califats arabes.

On raconte qu’au VIIIᵉ siècle, des navires chinois rentraient de Sumatra chargés de lingots et de bijoux. L’empereur, émerveillé, fit inscrire dans ses chroniques qu’aux confins du monde existait une terre « où les montagnes brillent d’or ». Les moines pèlerins, comme Yijing, confirmèrent le prestige de cette île, qu’ils traversaient en route vers l’Inde, et où les rois offraient des statues bouddhiques étincelantes de métal jaune.

Srivijaya, l’empire de l’or

Au cœur de cette prospérité s’éleva Srivijaya, le grand royaume maritime (VIIᵉ–XIIIᵉ siècle) dont la capitale se trouvait près de Palembang. Srivijaya contrôlait le détroit de Malacca, artère vitale entre l’océan Indien et la mer de Chine. L’or de Sumatra n’était pas seulement un produit : il était une monnaie d’échange, une source de prestige, la clef d’un rayonnement spirituel.

Des temples furent ornés de plaques dorées, des manuscrits furent copiés à l’encre d’or, et les souverains de Srivijaya envoyaient des tributs scintillants aux empereurs de Chine. Pour les voyageurs, ce royaume était littéralement « l’empire doré », cœur battant du commerce asiatique.

L’éclat terni

Mais rien n’est éternel. Au XIᵉ siècle, les flottes indiennes des Chola vinrent piller Sumatra, brûlant les ports, brisant la puissance de Srivijaya. L’or, déjà largement exploité, commença à se raréfier. Les royaumes voisins de Java prirent l’avantage, et peu à peu, l’île d’or perdit de son aura.

Lorsque les marchands arabes et persans décrivent Sumatra aux XIIIᵉ–XIVᵉ siècles, ce n’est plus seulement l’or qu’ils mentionnent, mais le poivre, les forêts, les épices. L’or demeurait, mais en filigrane, comme un souvenir d’un âge d’or révolu.

Les Hollandais et la quête vaine

Des siècles plus tard, quand les Hollandais s’emparèrent de Sumatra, ils rêvèrent à leur tour de ressusciter l’eldorado. Ils envoyèrent des prospecteurs dans les montagnes, creusèrent des galeries, installèrent des campements miniers. Oui, ils trouvèrent encore de l’or — à Lebong Donok, à Ombilin, au mont Ophir. Mais la récolte était maigre, décevante. Rien de comparable aux mines d’Afrique ou d’Amérique.

Les colons renoncèrent vite : l’or de Sumatra ne pouvait rivaliser avec les profits sûrs des plantations de café, de caoutchouc et de tabac. L’île d’or cessa d’être un rêve minier pour devenir un grenier colonial.

Où est passé l’or ?

Alors, où est passé l’or de Sumatra ?

Il s’est éparpillé dans l’histoire. Une partie a été extraite et fondue depuis l’Antiquité, partie vers l’Inde, la Chine, le Moyen-Orient. Une autre s’est perdue dans les coffres des royaumes disparus, dans les offrandes bouddhiques englouties par le temps. L’épuisement des gisements alluvionnaires a fait le reste.

Aujourd’hui encore, on extrait de l’or en petite quantité dans les montagnes de Sumatra, mais ce n’est plus la richesse fabuleuse des chroniques anciennes.

L’or immatériel

Et pourtant, l’or de Sumatra n’a pas totalement disparu. Il a changé de forme.

Il est dans les toits en cornes des maisons Minangkabau, qui rappellent la fierté d’un peuple montagnard.

Il est dans les légendes transmises de génération en génération, celles qui parlent d’ancêtres royaux parés de bijoux étincelants.

Il est dans la mémoire culturelle d’une île qui, même dépouillée de son métal précieux, demeure un trésor de diversité humaine et naturelle.

Peut-être que l’or véritable de Sumatra, aujourd’hui, n’est plus celui qui brille dans les coffres, mais celui qui persiste dans l’imaginaire des peuples et dans la forêt vivante qui couvre encore ses montagnes.

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