Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

312 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 septembre 2025

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

La Révolution française en Indonésie : entre pédagogie et rébellion

L’enseignement de la Révolution française en Indonésie révèle un contraste : les manuels en donnent une vision descriptive — acteurs, dates, principes abstraits — sans lien avec le vécu local, tandis qu’une jeunesse revendicative s’approprie ses symboles pour contester l’autorité et réclamer justice.

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Révolution française en Indonésie : entre pédagogie et rébellion

L’enseignement de l’histoire mondiale dans les écoles indonésiennes inclut la Révolution française comme événement majeur ayant bouleversé la conception du pouvoir, des droits et de la citoyenneté.

La révolte universelle, mais sans ancrage indonésien

Dans les manuels scolaires, l’accent est généralement mis sur les grandes figures — Louis XVI, Robespierre, Napoléon — et sur les principes universels proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’approche reste cependant largement descriptive et institutionnelle, privilégiant la chronologie et les conséquences politiques plutôt que l’analyse critique des luttes sociales ou des expériences populaires.

Ainsi, les élèves indonésiens découvrent l’idée de révolte contre l’injustice, la tyrannie et l’oppression monarchique, mais souvent sans lien explicite avec leur propre contexte sociopolitique. La Révolution française apparaît comme un événement lointain, presque mythique, dont l’exemple de la guillotine ou des émeutes parisiennes est présenté plus comme un symbole dramatique que comme un modèle de mobilisation citoyenne.

La Révolution française, réinventée par la jeunesse connectée

Pourtant, parmi la jeunesse indonésienne, certains récits et images de la Révolution française circulent bien au-delà du cadre scolaire. Les réseaux sociaux, les blogs et les forums étudiants permettent la redécouverte de l’histoire comme source d’inspiration pour la contestation contemporaine. La référence à la guillotine, par exemple, est devenue un symbole satirique dans certaines manifestations, un marqueur de défiance envers l’autorité jugée corrompue ou inefficace.

Un exemple récent et frappant s’est produit lors d’une manifestation étudiante à Jakarta : des manifestants ont présenté une maquette miniature de guillotine, accompagnée de représentations provocatrices du président Joko Widodo, y compris une effigie de sa tête. Bien que l’action ait été fortement médiatisée et critiquée pour sa radicalité, elle illustre un phénomène plus profond : la réappropriation par la jeunesse indonésienne de symboles historiques étrangers pour exprimer colère, mécontentement et désir de justice. La guillotine, dans ce contexte, n’est plus seulement un outil d’exécution historique, mais un langage visuel de contestation, un pont entre une mémoire européenne et des frustrations locales. 

De l’abstraction idéologique à la performance citoyenne

Si les manuels indonésiens transmettent l’idée de liberté et d’égalité de manière abstraite, les jeunes, eux, s’en emparent de façon performative et critique. Ils créent un lien entre un passé lointain et un présent marqué par la corruption, les inégalités et les tensions sociales. En ce sens, la Révolution française devient un référent symbolique : la justice populaire, la mise en scène du pouvoir et même la violence comme moyen de communication politique trouvent une résonance dans la culture contestataire des campus et des rues de Jakarta.

Enfin, cette dynamique illustre un paradoxe : la Révolution française est enseignée comme un modèle d’émancipation, mais c’est souvent dans la transgression, l’humour noir et la provocation que la jeunesse indonésienne retrouve son sens contemporain. Le manuel scolaire offre le cadre historique, tandis que les manifestations offrent l’expérience vécue et symbolique. Entre ces deux dimensions, se construit une culture politique jeune, hybride, qui emprunte à l’histoire européenne pour critiquer le présent indonésien, et qui, parfois, choque par la radicalité de ses symboles, mais révèle surtout un désir intense de justice et de transformation sociale.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.