Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

485 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 juillet 2025

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

KM Barcelona ou l’agonie ordinaire des oubliés

Un ferry en feu, une femme enceinte morte, des cris noyés dans l’indifférence. Le drame du KM Barcelona au large de Sulawesi n’est pas une tragédie isolée, mais le miroir cruel d’un système maritime négligé, d’un archipel où la pauvreté voyage sur des cercueils flottants. Jusqu’à quand ferons-nous semblant de ne pas voir ?

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

KM Barcelona ou l’agonie ordinaire des oubliés

Le 16 juillet 2024, au large des eaux du nord de Sulawesi, le navire indonésien KM Barcelona a pris feu.

Un incendie fulgurant, brutal, presque absurde dans sa rapidité. Le ciel était bleu, la mer calme, et pourtant, ce fut un carnage sans guerre. Une femme enceinte, piégée par les flammes, est morte. D’autres ont sauté dans l’eau, fuyant la chaleur des tôles en fusion pour trouver un salut incertain dans les courants invisibles du détroit.

Le nom du bateau lui-même aurait pu sembler ironique : Barcelona, une ville européenne cosmopolite, vibrante, évocatrice de modernité. Mais ici, il ne s’agissait pas d’un ferry ultramoderne, encore moins d’un yacht de luxe. KM Barcelona est probablement un de ces vieux navires de transport de passagers qui sillonnent l’archipel indonésien comme des cercueils flottants.

À bord : des familles modestes, des mères avec des enfants, des travailleurs migrateurs, des étudiants, des vendeurs de rue. Personne ne paie pour du confort, encore moins pour la sécurité. On paie pour arriver, ou pour espérer arriver. Et l’espoir, dans cette géographie fracturée qu’est l’Indonésie, est souvent tout ce qui reste.

Ce jour-là, le feu est parti du pont inférieur, ont dit les autorités. Court-circuit. Encore. L’un des passagers témoigne avoir vu de la fumée avant que l’alarme ne retentisse — tardivement. Les extincteurs ? Peu visibles. Les consignes ? Floues. La panique, elle, était bien réelle. Des cris, des pleurs, des corps jetés à la mer. Et ce silence oppressant, celui du choc, celui des secondes où l’on comprend qu’on est seul.

La marine indonésienne est intervenue, bien sûr. Tôt ? Tard ? À l’échelle du feu, toujours trop tard. On parle de 163 personnes évacuées. On parle. Mais qui parle pour la femme enceinte décédée ? Était-ce sa première grossesse ? Allait-elle retrouver un mari, une sœur, une maison ? Son nom, on ne le lit nulle part. Juste : “ibu hamil”. Une femme enceinte. Une statistique.

Presque chaque année, des ferries sombrent, brûlent ou disparaissent dans l’archipel. Et, inlassablement, reviennent l’émotion brève, les enquêtes avortées, et les justifications techniques trop commodes. La mémoire maritime de l’Indonésie est saturée de drames et d’amnésie institutionnelle. La mer y est vaste, les responsabilités toujours diluées.

Ce n’est pas un accident isolé. C’est un symptôme. Celui d’un système de transport vétuste, corrompu, ignoré. D’un pays immense, éclaté en milliers d’îles, où les plus pauvres doivent se contenter de navires de fortune pour vivre, travailler, se soigner. Et mourir.

Pendant ce temps, les élites se déplacent en avion privé. Les ministres inaugurent des routes dans les mégapoles. Les médias, eux, titrent : “Un mort”. Mais combien de vies effacées, combien de tragédies étouffées sous l’indifférence ?

Le feu du KM Barcelona s’est éteint. Mais son ombre reste. Une femme est morte, et avec elle, un enfant qui n’aura jamais vu la lumière. Pour eux, il n’y aura pas de plaque commémorative, pas de deuil national. Juste une ligne dans un article en ligne, un nom de bateau, et une question qui revient comme une marée noire : que vaut une vie en périphérie ?

Référence :

https://www.google.com/amp/s/news.detik.com/berita/d-8020734/km-barcelona-terbakar-di-perairan-sulut-ibu-hamil-meninggal-dunia/amp

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.