Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 20 juillet 2025

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Y a-t-il encore une opposition en Indonésie aujourd’hui ?

L’opposition en Indonésie ? Elle s’est dissoute sans faire de bruit. Tandis que le PDI‑P panse ses blessures et se perd dans ses héritages, le PSI, ex-parti des jeunes et des idéaux, parade désormais sous un éléphant docile aux couleurs de la dynastie Jokowi. Où est passée la contestation ? Et qui ose encore dire non ?

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Y a-t-il encore une opposition en Indonésie aujourd’hui ?

Chronique d’une démocratie qui recycle ses rêves

Par une soirée moite à Jakarta, dans une salle de conférence d’hôtel trois étoiles près de Jalan Wahid Hasyim, un groupe de jeunes militants du PSI observait avec malaise la scène. Il y avait des ballons rouges et blancs, des selfies, des influenceurs TikTok, et surtout un grand écran LED flambant neuf. Au centre : Kaesang Pangarep, le plus jeune fils du président Joko Widodo, souriant comme à une remise de diplôme. Puis l’annonce retentit : le logo du PSI change. Adieu la rose rouge des socialistes. Bonjour l’éléphant.

Un éléphant. Majestueux, massif, loyal, et… symboliquement associé à la mémoire et à la force tranquille. Mais dans cette salle, personne n’osait demander ce que tout le monde pensait :

  • Qu’est-il arrivé au parti des jeunes idéalistes, des progressistes, des rêveurs ?
  • Qu’est-il arrivé à l’opposition ?

L’Indonésie post-Jokowi : un pays sans contrepoids

L’Indonésie en 2025 est calme. Trop calme. Après deux mandats de Jokowi, c’est Prabowo Subianto, son ancien rival devenu ministre de la Défense, qui lui succède. À 73 ans, l’ex-général autrefois accusé de violations des droits humains devient président avec le soutien... du président sortant lui-même. Son vice-président ? Gibran Rakabuming Raka, fils aîné de Jokowi. Ce qui ressemblait naguère à une démocratie pleine de vitalité, ressemble de plus en plus à un théâtre bien huilé, où chaque rôle est distribué d’avance.

La question se pose alors : où est passée l’opposition ?

Le paradoxe du PDI-P : l’héritage de Soekarno à la dérive

Ironie de l’histoire, c’est le Parti Démocratique Indonésien de Lutte (PDI-P) — la formation qui a porté Jokowi au pouvoir — qui se retrouve reléguée à l’opposition. Mais c’est une opposition tiède, sans feu ni cap. Le parti, dirigé par Megawati Soekarnoputri, fille du père fondateur Soekarno, refuse de reconnaître sa perte d’influence. La désignation de Ganjar Pranowo comme candidat à la présidence n’a pas suffi à contrer la vague Prabowo-Gibran, adoubée par l’appareil d’État.

Megawati, visiblement blessée par le « détournement » de Jokowi, semble hésiter entre résistance et résignation. Son silence est assourdissant, et la base militante se fissure. Puan Maharani, sa fille, n’a pas le charisme de son grand-père, ni l’aura populaire de Jokowi. Le PDI-P, jadis colonne vertébrale du pluralisme politique, se mue en un fantôme hésitant, coincé entre nostalgie révolutionnaire et calculs bureaucratiques.

Le cas PSI : du progressisme urbain à l’éléphant de palais

Mais la plus grande trahison des idéaux démocratiques ne vient pas du vieux PDI-P, mais d’un parti qui incarnait l’espoir d’un renouveau : le Partai Solidaritas Indonesia (PSI).

Créé en 2014 par des activistes, journalistes et professionnels urbains, le PSI se voulait le parti des jeunes, des femmes, des minorités, de l’anti-corruption, du progrès. Son ancienne dirigeante, Grace Natalie, parlait le langage des droits humains, de la transparence, de l’égalité. Le logo du parti arborait une rose rouge, hommage discret aux partis sociaux-démocrates du monde entier.

Mais en 2023, tout change. Sans congrès, sans débat idéologique, Kaesang Pangarep, le plus jeune fils de Jokowi, est désigné président du parti. Il n’a jamais milité, jamais fait de discours politique, jamais rédigé une ligne de programme. Il est surtout connu pour sa chaîne YouTube et son business de bananes frites.

Et c’est ce jour-là, dans cette salle climatisée et sans émotion, qu’il annonce aussi : « Nous allons changer le logo du PSI. Désormais, ce sera un éléphant. »

Silence. Puis applaudissements forcés. Et les plus anciens militants, ceux qui croyaient à l’idéal d’un PSI comme parti du XXIᵉ siècle, quittent la salle, certains les larmes aux yeux.

La dynastie Jokowi : entre pragmatisme et hégémonie douce

Ce changement de logo n’est pas anodin. C’est un symbole fort du glissement idéologique du PSI vers une structure dynastique, où l’idéologie compte peu, et où la loyauté à la famille présidentielle devient la principale boussole.

Le PSI, qui se disait autrefois indépendant et progressiste, est désormais un satellite de Jokowi, un outil de gestion de son héritage politique au-delà de la présidence. En apparaissant "neutre", "positif", "projeune", le parti se positionne comme une alternative douce, sans jamais remettre en cause les structures de pouvoir.

Et pendant ce temps, le paysage politique s’aplatit. Les autres partis — Golkar, Gerindra, NasDem — cherchent leur place dans la coalition présidentielle. Les institutions censées garantir les contre-pouvoirs, comme la Cour constitutionnelle, ont été compromises, comme l’a montré la décision controversée validant la candidature de Gibran malgré une violation de l’âge minimum.

Une opposition neutralisée n’est pas une opposition

Alors, y a-t-il encore une opposition en Indonésie aujourd’hui ?

La réponse est douloureuse : non, pas dans le sens structurel et institutionnel. Il y a bien quelques voix critiques : des intellectuels, des figures religieuses, des journalistes indépendants. Mais les partis politiques, qui devraient porter le débat et le dissensus, sont aujourd’hui domestiqués.

Le PDI-P regarde son passé glorieux pendant que son avenir s’efface.

Le PSI, lui, a troqué ses rêves contre un éléphant — paisible, loyal, et lourd.

Et peut-être est-ce cela le symbole parfait de la démocratie indonésienne en 2025 :

une bête massive, apprivoisée, utile… mais incapable de charger.

Ainsi se dévoile la vérité amère de la démocratie indonésienne : non pas l’expression de la volonté populaire, mais un banquet d’élites qui se découpent le gâteau du pouvoir.

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