De Gaulle à Macron : le vrai visage des relations France-Indonésie
Depuis 1950, la France et l’Indonésie entretiennent des relations diplomatiques officielles. Sur le papier, il s’agit d’un partenariat respectueux entre deux États souverains, situés aux antipodes du globe, mais liés par l’histoire, l’économie, la culture, et plus récemment par la géopolitique indo-pacifique. Pourtant, lorsque l’on gratte le vernis des communiqués officiels, que reste-t-il ? Une relation asymétrique, opaque, souvent muette sur les droits humains, et profondément marquée par des intérêts commerciaux et militaires. Ce texte propose une lecture critique de cette histoire diplomatique, depuis les débuts gaulliens jusqu’aux ambitions stratégiques du président Macron.
De Gaulle et Soekarno : séduction tiers-mondiste et calculs stratégiques
Au début des années 1960, le général De Gaulle perçoit l’Indonésie de Soekarno comme une figure montante du tiers-monde. Jakarta, avec sa rhétorique anti-impérialiste, séduit Paris, qui voit dans cette puissance émergente un contrepoids à l’ordre américain. Mais cette séduction reste superficielle. La France n’engage aucune coopération sérieuse en dehors de quelques gestes symboliques. Lorsque Soekarno s’enfonce dans l’anti-occidentalisme, Paris se replie. Et quand le général Soeharto prend le pouvoir en 1965 dans un bain de sang — plus de 500 000 morts —, la France observe, silencieuse. Aucun mot sur les massacres, aucune condamnation du régime militaire. L’Indonésie est jugée « stable », et cela suffit à satisfaire la diplomatie française.
Les années Soeharto : le silence complice au nom de la stabilité
De Giscard à Chirac, en passant par Mitterrand, la France consolide ses liens économiques avec l’Indonésie. L’exploitation des ressources naturelles, les investissements dans l’énergie, les ventes d’armes : tout cela se développe dans une ambiance feutrée. Pourtant, les années Soeharto sont aussi celles des violations massives des droits humains : en Papouasie, à Aceh, au Timor oriental. Mais la France, qui se plaît à invoquer les droits de l’homme dans ses discours, reste muette. Paris vend des armes, accueille des délégations militaires, négocie des contrats, mais n’évoque jamais le sort des peuples opprimés dans l’archipel. La « realpolitik » l’emporte sur la morale.
L’après-1998 : démocratisation sans exigence, commerce sans mémoire
La chute de Soeharto en 1998 marque un tournant en Indonésie, mais pas dans la posture française. Paris salue la transition démocratique, sans jamais revenir sur son soutien tacite à la dictature passée. La coopération culturelle se renforce, avec des échanges universitaires et artistiques, mais elle reste marginale face aux enjeux économiques. Des entreprises comme Total, Lafarge, Thalès ou Airbus consolident leur présence. Dans les coulisses, les élites françaises et indonésiennes échangent, se congratulent, et évitent soigneusement les sujets sensibles. Aucun mot, encore, sur la situation en Papouasie, ni sur les violences policières et militaires dans les zones de conflit.
L’ère Macron : Rafales, Indo-Pacifique et illusions stratégiques
Avec Emmanuel Macron, la France se repositionne comme puissance « indo-pacifique ». L’Indonésie devient une pièce centrale de ce puzzle stratégique, censé contenir l’influence chinoise. En 2022, un contrat colossal est signé : 42 avions de chasse Rafale vendus à Jakarta. Le tout accompagné de partenariats dans la défense, la cybersécurité et la technologie. Mais à aucun moment la France n’interroge la finalité de ces armes. Seront-elles utilisées en Papouasie contre des civils ? Sont-elles destinées à des opérations répressives dans l’archipel ? Silence total. Macron parle d’« autonomie stratégique », mais ferme les yeux sur les réalités locales. Le cynisme reste intact.
Que la France a-t-elle apporté à l’Indonésie ? Le commerce, sans la justice
Officiellement, la France a soutenu le développement économique de l’Indonésie. Elle a transféré des technologies, investi dans les infrastructures, ouvert des opportunités de formation. Mais à quel prix ? Les grandes entreprises françaises ont souvent opéré dans des zones sensibles, parfois sans consultation des populations locales. Loin d’apporter la justice sociale ou l’émancipation, ces investissements ont parfois aggravé les inégalités. En matière politique, la France n’a jamais soutenu les voix démocratiques ou critiques du régime indonésien. Elle n’a pas appuyé les journalistes, les ONG ou les défenseurs des droits. Elle a préféré soutenir l’État, quoi qu’il en coûte.
Et l’Indonésie ? Silence diplomatique et complaisance géopolitique
De son côté, que l’Indonésie a-t-elle apporté à la France ? Un appui discret dans les forums internationaux, une coopération commerciale, et une absence totale de critique. Jakarta ne dit rien sur les interventions françaises au Mali, au Sahel ou en Libye. Elle ne remet pas en cause le rôle de la France dans l’exploitation des ressources africaines ou les ventes d’armes au Moyen-Orient. L’Indonésie ne défend pas non plus les peuples colonisés d’outre-mer, ni les mouvements indépendantistes en Kanaky ou à Mayotte. Elle choisit le silence, par pragmatisme. En retour, elle attend que Paris ne dise rien sur la Papouasie. C’est un pacte de mutisme réciproque.
Bilan critique des relations diplomatiques entre la France et l’Indonésie : de De Gaulle à Macron
Soixante-dix ans de relations diplomatiques n’ont pas permis l’émergence d’un partenariat sincère, fondé sur la justice, la mémoire et la solidarité. La France continue de traiter l’Indonésie comme un marché stratégique, un client docile, un allié silencieux. L’Indonésie, elle, accepte cette position, tant que ses intérêts commerciaux et sécuritaires sont respectés. Mais au fond, cette relation manque de vérité, de courage et de réciprocité. Elle illustre les limites d’une diplomatie guidée par les intérêts à court terme et l’obsession du profit. Si la France et l’Indonésie veulent bâtir autre chose qu’un pacte de convenance, il leur faudra d’abord affronter leurs responsabilités historiques et briser le silence qui entoure leurs zones d’ombre.