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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 21 juin 2025

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L’antek asing : la menace étrangère, un récit diviseur

Dans l’Indonésie contemporaine, l’expression « antek asing » sert à désigner des individus ou groupes accusés de trahison au nom d’intérêts étrangers. Cette rhétorique politique divise profondément la société, exacerbant les tensions identitaires et freinant le dialogue démocratique, notamment dans les régions comme la Papouasie, où les enjeux de souveraineté et de justice sociale restent vifs.

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L’antek asing : la menace étrangère, un récit diviseur

Dans l’Indonésie contemporaine, alors que le pays entre dans une nouvelle phase politique après une transition présidentielle marquée par de vives tensions, un terme continue de hanter le débat public : celui d’antek asing, ou « larbin de l’étranger ». Loin de s’estomper avec la fin des campagnes électorales, cette expression reste un instrument redoutable pour disqualifier toute voix critique ou alternative. Plus qu’un simple slogan, elle façonne une vision paranoïaque de la citoyenneté, où la loyauté est sans cesse mise à l’épreuve et où la complexité des engagements sociaux ou internationaux est réduite à une opposition binaire entre patriotes et traîtres.

La figure ennemie : fluide et toujours disponible

Le récit de l’antek asing repose sur une figure ennemie fluide, toujours prête à être activée pour neutraliser les voix dissidentes. Un militant dénonçant les violences militaires, un avocat défendant les droits humains, une chercheuse en écologie critiquant l’expansion des plantations industrielles, une organisation solidaire des populations marginalisées : tous peuvent, du jour au lendemain, être désignés comme agents de l’étranger.

Cette rhétorique vise moins à protéger la souveraineté qu’à imposer un contrôle idéologique sur l’espace public.

Une arme politique héritée du passé

Historiquement, la figure du traître lié à l’étranger a été alimentée par les blessures du colonialisme, la guerre froide et les turbulences du Nouvel Ordre. Mais elle s’est muée, depuis la chute de Soeharto, en un outil de gouvernement informel, mobilisé aussi bien par les autorités que par certains groupes extrémistes ou acteurs médiatiques. Elle permet d’étiqueter l’opposition, d’intimider les minorités, de justifier la répression, tout en se donnant une légitimité populaire.

Un outil de disqualification généralisée

Ce qui est frappant dans l’usage de l’étiquette antek asing, c’est sa plasticité. Elle peut viser des journalistes, des artistes, des militants écologistes, des enseignants, des chefs coutumiers ou des évêques. Peu importe leur parcours, leur ancrage local ou leur engagement éthique : il suffit qu’ils remettent en cause une politique d’État, une opération économique douteuse ou une injustice criante pour qu’on les soupçonne d’être financés, manipulés ou inspirés par des intérêts extérieurs.

Critique étrangère ou autocritique nationale ?

Il ne s’agit pas de nier que les influences étrangères existent, ni que certaines ONG ou fondations internationales agissent parfois avec des agendas ambigus. Mais la rhétorique de l’antek asing fonctionne ici comme une arme de discrédit, non comme une critique argumentée. Elle évacue les débats sur les droits, la justice, l’environnement ou la démocratie, pour recentrer l’attention sur une supposée trahison nationale. Elle remplace l’écoute par la surveillance, et le dialogue par l’accusation.

Papouasie occidentale : la suspicion portée à son paroxysme

Dans le contexte de la Papouasie occidentale, une région intégrée à l’Indonésie dans des circonstances contestées en 1963, cette rhétorique prend une intensité particulière Les revendications des peuples autochtones sont fréquemment assimilées à des complots séparatistes téléguidés par des puissances occidentales ou des ONG chrétiennes. Toute dénonciation des violences militaires peut être interprétée comme une trahison. Même les expressions culturelles traditionnelles sont parfois regardées avec suspicion. Cette logique binaire interdit toute reconnaissance de la légitimité des luttes locales, de leur histoire propre et de leur ancrage dans le droit international.

Déconstruire un récit toxique

Il est urgent de déconstruire le mythe de l’antek asing. Non pas pour minimiser les rapports de force mondiaux, mais pour défendre la possibilité d’un espace civique pluraliste où les citoyen·nes puissent critiquer, proposer, résister, sans être soupçonnés d’intelligence avec l’ennemi. Une société démocratique ne peut pas se construire sur la peur permanente de la contamination étrangère. Elle doit reposer sur la confiance, le débat argumenté et la reconnaissance des différences.

Les vrais agents étrangers ?

En réalité, les véritables antek asing ne sont pas toujours ceux qu’on montre du doigt. Ils sont parfois dissimulés derrière les contrats miniers opaques, les accords de défense dissimulés, ou les réseaux financiers qui échappent à tout contrôle public. Ils parlent un langage technocratique, portent des costumes impeccables, et signent des traités sans consulter les peuples concernés. C’est là que réside, bien souvent, la vraie aliénation de la souveraineté.

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