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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 21 juin 2025

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Macron, un Bonaparte du XXIe siècle ?

Macron n’est pas Kim Jong-un, mais son pouvoir a tout d’un bonapartisme chic : autoritaire sans dictature, technocratique sous couvert de démocratie, brutal mais policé. À coups de 49.3 et de matraques, il gouverne seul, impose le néolibéralisme et réprime la rue. Une dérive autoritaire « à la française » qui inquiète bien au-delà de l’Hexagone.

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Macron, un Bonaparte du XXIe siècle ?

Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron concentre les critiques de la gauche, en France comme au-delà des frontières. Pour de nombreux observateurs progressistes – militants, intellectuels, syndicalistes –, le chef de l’État incarne une forme contemporaine de bonapartisme : un régime autoritaire déguisé en démocratie, qui centralise le pouvoir autour d’un président fort, impose à marche forcée des réformes libérales, et réprime les mouvements sociaux avec une sévérité croissante.

Que signifie « bonapartisme » aujourd’hui ?

Historiquement, le terme renvoie à Napoléon Bonaparte, puis à son neveu Napoléon III, deux figures emblématiques de la centralisation autoritaire du pouvoir sous des habits républicains. Karl Marx avait d’ailleurs analysé le régime de Napoléon III comme un bonapartisme : pouvoir personnel qui s’appuie sur le peuple contre les institutions, tout en servant les intérêts de la bourgeoisie.

Transposé au XXIe siècle, le bonapartisme désigne un mode de gouvernement qui mêle autoritarisme politique, gestion technocratique, culte de la personnalité, populisme de façade et néolibéralisme économique. Pour la gauche française contemporaine, Macron en est une incarnation frappante.

Un président « jupitérien » et centralisateur

Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron a cultivé une image verticale du pouvoir. Autoproclamé président « jupitérien », il gouverne en s’appuyant sur un exécutif renforcé, marginalisant le Parlement, contournant les contre-pouvoirs, et réduisant le rôle des corps intermédiaires comme les syndicats ou les associations. Cette centralisation, dans le cadre d’une démocratie formelle, rappelle les logiques bonapartistes du passé.

Les réformes du droit du travail, la transformation de l’assurance chômage, les coupes dans les services publics ou encore la gestion autoritaire des mobilisations (Gilets jaunes, mouvements étudiants, retraites) témoignent d’une méthode brutale : imposer des politiques impopulaires en réprimant les résistances.

Un autoritarisme « démocratique », pas une dictature

Précisons cependant que l’autoritarisme de Macron n’a évidemment rien à voir avec celui d’un dictateur absolu comme Kim Jong-un ou d’un régime totalitaire classique. La France reste une démocratie parlementaire avec des élections libres, une presse pluraliste et des libertés fondamentales – même si ces dernières sont de plus en plus fragilisées.

L’enjeu ici est de nommer une dérive beaucoup plus subtile : celle d’un pouvoir qui concentre les décisions, érode les espaces démocratiques réels, et gouverne sans réel dialogue avec la société. C’est une forme d’autoritarisme « à visage démocratique », où les institutions demeurent mais sont peu à peu vidées de leur substance.

Un libéralisme qui fracture la société

Le projet macronien se présente comme progressiste, moderne, européen, mais il repose sur une logique néolibérale qui accroît les inégalités. Flexibilisation de l’emploi, austérité budgétaire, priorité au capital privé : les classes populaires en paient le prix. Macron a su séduire les élites économiques et financières, mais en marginalisant toujours davantage les catégories populaires et moyennes.

Ce pacte entre autoritarisme politique et capitalisme mondialisé est au cœur de la critique bonapartiste formulée par la gauche : un pouvoir personnel fort au service d’un projet économique fondé sur la concurrence, la rentabilité et la discipline sociale.

Populisme d’État et détournement des colères

Macron use également d’une rhétorique populiste à géométrie variable, se présentant tour à tour comme l’homme du peuple contre les « extrêmes », ou comme le seul garant de la raison face aux passions. Ce populisme d’en haut, technocratique et moralisateur, cherche à disqualifier les opposants en les assimilant au chaos ou à l’irrationalité, tout en désignant régulièrement des boucs émissaires (chômeurs, musulmans, militants, fonctionnaires, etc.) pour détourner l’attention des vraies fractures sociales.

Une leçon à tirer pour la gauche internationale

Le cas Macron ne peut être réduit à une spécificité française. Il illustre une tendance globale, observable dans de nombreuses démocraties libérales, où les pouvoirs exécutifs renforcent leur contrôle, affaiblissent les contre-pouvoirs, marchandisent les politiques publiques, et gouvernent au nom d’une rationalité économique indiscutable.

Pour les gauches du monde entier, y compris en Indonésie, ce phénomène invite à la vigilance. Car sous des formes diverses, on observe la montée d’un autoritarisme néolibéral qui se pare de la légitimité démocratique, mais qui confisque la souveraineté populaire. En Indonésie, des dynamiques comparables se manifestent dans la centralisation du pouvoir, l’alignement sur les intérêts oligarchiques, et la répression croissante des voix critiques.

Résister à cette dérive ne passe pas seulement par la critique, mais par la reconstruction patiente de formes démocratiques vivantes, populaires, solidaires et réellement inclusives.

Emmanuel Macron n’est pas un dictateur, mais il est devenu, pour une large partie de la gauche, le visage d’un bonapartisme contemporain : un pouvoir fort, vertical, technocratique, imposant l’ordre néolibéral au nom du progrès. Comprendre cette mutation est indispensable pour repenser la démocratie au XXIe siècle.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.