Indonésie : Résistance Autochtone de Poco Leok à Flores
Quand un peuple défend sa terre contre un projet géothermique imposé au nom du développement vert.
Sur l’île de Flores, à l’est de l’archipel indonésien, un petit peuple se dresse face à une machine nationale. À Poco Leok, dans la région montagneuse de Manggarai, les habitants refusent que leurs terres ancestrales soient sacrifiées au nom d’un projet géothermique présenté comme "propre" et "nécessaire au progrès". Pour eux, ce n’est pas seulement une bataille environnementale, mais une lutte pour la dignité, la souveraineté, et le respect des esprits de la terre.
Une terre vivante, pas une ressource
Poco Leok est un territoire où chaque arbre, chaque source, chaque pierre porte un nom et une mémoire. Ici, les communautés vivent depuis des générations en symbiose avec une nature qu’elles considèrent comme vivante et sacrée. Le sol y est fertile, les forêts riches, les compang (sites rituels) toujours actifs. Les gens n’y parlent pas d’« exploitation », mais d’entretien de la relation avec la terre.
C’est pourtant sur ce territoire que l’entreprise nationale PLN, avec le soutien du gouvernement indonésien et de bailleurs internationaux comme la KfW allemande, veut étendre une centrale géothermique. Le projet Ulumbu 5-6, dans les cartons depuis 2017, vise à forer plusieurs puits à haute température dans la zone, au nom de la transition énergétique.
Mais pour les habitants, ce projet est une agression.
Un refus clair, ignoré
Dès 2020, onze communautés de Poco Leok, sur les quatorze concernées, font savoir leur opposition. Lettres officielles, manifestations, pétitions, recours à l’Église catholique locale : les villageois multiplient les démarches. Ils demandent simplement d’être écoutés, consultés, respectés. Mais à mesure que leur résistance s’intensifie, les réponses se font rares – ou brutales.
Le processus de « consentement libre, préalable et éclairé » (FPIC) exigé par les normes internationales n’est respecté qu’en façade. Des rencontres sont organisées avec des groupes soigneusement sélectionnés, parfois sous pression. Des signatures sont arrachées sans informations claires. Le nom d’organisations religieuses, dont le diocèse de Ruteng, est utilisé pour légitimer le projet, alors même qu’elles s’en désolidarisent publiquement.
« C’est une simulation de dialogue. Ils viennent avec leurs décisions déjà prises », résume un ancien du village.
Répression et criminalisation
En 2022, face à la mobilisation croissante, les autorités passent à la manière forte. Police, armée, et milices civiles sont déployées pour escorter les équipes de sondage. Des barrages sont levés, des manifestants interpellés, des tensions éclatent. En octobre 2024, plusieurs blessés sont signalés lors de heurts. Un journaliste local, Herry Kabut, est arrêté alors qu’il couvrait les événements.
Les habitants de Poco Leok se retrouvent criminalisés pour avoir défendu leur forêt, leur source, leur maison. Mais ils ne reculent pas. La mémoire de leurs ancêtres est en jeu. Et l’avenir de leurs enfants.
Accusations insultantes du gouverneur
En juillet 2025, le gouverneur de Nusa Tenggara Timur (NTT) jette de l’huile sur le feu. Il accuse les opposants d’être manipulés par des forces extérieures, qualifiant leur résistance de "forme d’arrogance intellectuelle". Ces propos choquent.
Car à Poco Leok, la lutte est profondément enracinée. Il ne s’agit pas d’une agitation politisée, mais d’un cri lancé par ceux qui vivent de la terre, avec la terre. Le réduire à une manipulation extérieure est une insulte à leur intelligence collective, à leur droit d’exister.
« Ce sont nos corps, nos champs, nos esprits qui seront affectés. Nous avons le droit de dire non », répond une jeune femme du village, engagée dans le mouvement.
Une lutte pour le droit d’exister autrement
Le conflit de Poco Leok dépasse le cas d’un projet géothermique. Il pose une question cruciale : peut-on imposer une transition énergétique sans justice sociale ni reconnaissance des peuples autochtones ?
Les habitants ne rejettent pas l’énergie propre. Ils rejettent un modèle de développement autoritaire, qui ne tolère ni débat, ni ralentissement, ni pluralité. Ils revendiquent une écologie enracinée, respectueuse des humains et des esprits, fondée sur la coopération et non sur la conquête.
Aujourd’hui, leur combat trouve écho ailleurs en Indonésie et au-delà. À travers les forêts de Kalimantan, les îles de Maluku, ou les montagnes papoues, d’autres communautés disent elles aussi : ce développement n’est pas le nôtre.
Une leçon venue de la périphérie
Poco Leok n’est pas un village isolé. C’est une vigie. Un rappel que la transition écologique, si elle veut être juste, doit commencer par écouter les voix que l’histoire a trop souvent réduites au silence. Que le progrès ne se mesure pas à la puissance des turbines, mais à la capacité d’un peuple à vivre libre sur sa propre terre.
Ici, au cœur de Flores, des hommes et des femmes tiennent bon. Non pas par nostalgie du passé, mais par fidélité à une autre idée de l’avenir.
« Nous ne sommes pas contre le progrès. Mais nous savons que le progrès sans âme est une nouvelle forme de colonisation. » — militant anonyme du mouvement de Poco Leok.
Source :
https://floresa.co/reportase/mendalam/77270/2025/07/21/bentuk-keangkuhan-intelektual-dan-sikap-arogan-warga-poco-leok-kecam-tudingan-gubernur-ntt-soal-pemain-belakang-layar-tolak-proyek-geotermal