Quand l’État saisit des livres : l’ombre du bibliocide plane sur l’Indonésie
C’est une scène digne d’un mauvais roman dystopique. À Bandung, la police a fait irruption chez Delpedro Marhaen, directeur exécutif de la fondation Lokataru, avant de repartir les bras chargés de livres.
Une saisie qui fait trembler les bibliothèques
Des livres ! Comme si le papier imprimé pouvait être traité comme une arme de destruction massive. Officiellement, Delpedro est poursuivi pour « incitation ». Officieusement, ce sont ses idées — et celles que portent les ouvrages dans sa bibliothèque — qui semblent mises à l’index.
En un instant, le geste d’enlever des livres d’une étagère s’est transformé en symbole d’une menace plus vaste : le retour d’un vieux spectre, celui du bibliocide.
Bibliocide : quand brûler les idées revient à brûler des livres
Le mot claque comme un coup de tonnerre. Bibliocide : l’assassinat des livres, le meurtre des idées imprimées.
En Indonésie, ce terme n’est pas nouveau. De la période coloniale aux années de plomb du Nouvel Ordre de Suharto, le pays a connu des vagues de censure brutale : interdictions d’ouvrages, disparitions d’auteurs, autodafés discrets mais implacables.
Aujourd’hui, en 2025, alors que l’on nous promet modernité et ouverture, l’État renoue avec ce geste archaïque : criminaliser la lecture. Comme si posséder un livre pouvait être un crime.
Les voix de la résistance
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Écrivains, lecteurs, militants hurlent leur colère.
Reza, membre d’une communauté littéraire à Cimahi, s’inquiète : « Si demain chaque livre peut être prétexte à suspicion, alors plus aucun d’entre nous n’est en sécurité. »
Sylvie, éditrice indépendante, voit dans cette affaire une mascarade : « On fabrique de toutes pièces une accusation pour faire taire un esprit critique. C’est un avertissement adressé à nous tous. »
Leur message est clair : toucher à un livre, c’est toucher à la liberté.
Un pays qui vacille entre mémoire et oubli
Ce n’est pas seulement une question judiciaire. C’est une question de mémoire. Chaque livre confisqué, c’est une voix qu’on tente de réduire au silence. C’est une partie de l’histoire qu’on arrache à la conscience collective.
Les régimes autoritaires l’ont toujours su : contrôler les livres, c’est contrôler les cerveaux. L’Inquisition brûlait les manuscrits jugés hérétiques. Les nazis organisaient des autodafés pour effacer des pans entiers de la culture. Aujourd’hui, en Indonésie, l’écho de ces gestes résonne à travers cette saisie.
Et maintenant ?
La question est simple, brutale, urgente : allons-nous accepter que les livres redeviennent des objets suspects ?
Car si l’on commence par la bibliothèque d’un militant des droits humains, demain ce pourrait être celle d’un étudiant, d’un professeur, d’un lecteur ordinaire. Et bientôt, la peur s’installera dans chaque librairie, chaque maison, chaque sac d’écolier.
Le bibliocide n’est pas seulement la destruction de livres : c’est la mise à mort de l’imaginaire, de la pensée critique, de la possibilité d’inventer un autre avenir.
Conclusion
Le cas Delpedro Marhaen n’est pas une simple affaire de justice. C’est un signal d’alarme. L’Indonésie est à la croisée des chemins : choisira-t-elle de protéger la liberté d’expression, ou d’étouffer les voix dissidentes sous prétexte de sécurité ?
Une chose est sûre : tant que des lecteurs, des écrivains et des citoyens se lèveront pour défendre leurs bibliothèques, le bibliocide ne sera jamais total. Car on peut saisir un livre, mais on ne peut pas saisir une idée.
Source :
https://bandungbergerak.id/article/detail/1599833/membaca-sejarah-bibliosida-dari-penyitaan-buku-di-rumah-delpedro-marhaen