Quel est le peuple le plus persécuté au monde ?
Il existe peu de sujets aussi délicats et explosifs que celui de la persécution. Toute tentative de hiérarchiser les souffrances humaines semble indécente, tant chaque communauté opprimée vit son propre drame dans la chair et dans l’histoire.
Une controverse nécessaire
Pourtant, le débat revient sans cesse : qui, aujourd’hui, subit la persécution la plus massive, la plus systématique, la plus persistante ?
Certains parlent des chrétiens, d’autres des musulmans, d’autres encore des Rohingyas, des Ouïghours, des Palestiniens, des Yézidis, ou des indigènes disséminés aux quatre coins du monde. Le simple fait d’oser poser la question révèle déjà les tensions politiques, religieuses et idéologiques de notre temps.
Les chrétiens : une persécution invisible en Occident
Il est aujourd’hui établi par de nombreux rapports – notamment ceux de l’ONG Open Doors – que les chrétiens constituent la communauté religieuse la plus persécutée du monde en termes numériques. De la Corée du Nord au Nigeria, de la Chine à l’Inde, des millions de croyants vivent sous la menace d’attentats, de discriminations légales, ou d’exécutions extrajudiciaires. Pourtant, dans un Occident sécularisé, ce discours passe mal. L’idée d’un christianisme victime semble contradictoire, alors même que l’Europe a longtemps imposé sa croix par l’épée. La persécution des chrétiens est ainsi médiatiquement minimisée, car elle bouscule une lecture trop simple de l’histoire.
Les musulmans : de l’islamophobie au génocide culturel
À l’inverse, nombreux sont ceux qui affirment que les musulmans sont la communauté la plus opprimée. Des Rohingyas apatrides au Myanmar, aux Ouïghours internés dans des camps en Chine, en passant par les Palestiniens soumis à une colonisation brutale, les cas abondent. Dans les démocraties occidentales, les musulmans affrontent une islamophobie structurelle : discriminations, suspicion permanente, lois d’exception. Ici, la persécution prend un visage plus insidieux : celui d’un racisme maquillé en défense des « valeurs ».
Les peuples autochtones : le génocide lent et silencieux
Mais si l’on quitte les chiffres pour regarder la durée historique et la profondeur des blessures, les peuples autochtones apparaissent comme les plus persécutés. Amérindiens, Aborigènes, Inuits, Papous, Amazoniens : tous subissent le même processus d’effacement culturel, linguistique, spirituel et territorial. Leurs terres sont pillées, leurs forêts brûlées, leurs enfants arrachés à leurs traditions. C’est un génocide sans fin, mené non par le massacre direct mais par l’assimilation forcée, l’extractivisme et le mépris. Les peuples premiers ne figurent pas toujours dans les statistiques de la persécution religieuse ou ethnique, mais ils en constituent la plaie la plus profonde et la plus longue.
Une question de pouvoir et de visibilité
En réalité, la réponse à la question « Qui est le plus persécuté ? » dépend du critère retenu :
- En nombre absolu : probablement les chrétiens.
- En intensité actuelle : sans doute les musulmans (Rohingyas, Ouïghours, Palestiniens).
- En durée historique et en profondeur de l’effacement : les peuples autochtones.
Autrement dit, il n’existe pas une seule réponse, mais plusieurs. Le scandale n’est pas qu’on cherche à comparer, mais qu’on s’habitue à voir certaines souffrances comme « normales » ou « inévitables ».
Pourquoi ces persécutions persistent-elles ?
Toutes ces persécutions ont un point commun : elles servent des logiques de pouvoir.
- Les chrétiens dérangent dans les régimes totalitaires, car leur foi transcende l’État.
- Les musulmans sont pris dans les guerres géopolitiques et la peur de l’« autre » civilisateur.
- Les autochtones paient le prix d’un capitalisme vorace qui ne tolère aucune limite à l’exploitation des ressources.
La persécution est donc rarement religieuse ou ethnique en elle-même : elle est politique, économique, impériale.
L’universalité de la persécution, l’urgence de la solidarité
Au lieu de dresser un podium macabre des souffrances, il faudrait reconnaître la diversité des persécutions et y répondre par une solidarité universelle. Tant que l’on se battra pour « prouver » que son peuple souffre plus qu’un autre, on restera prisonniers d’une logique victimaire qui nourrit les divisions.
Mais si l’on comprend que toute persécution est une atteinte à l’humanité entière, alors on peut dépasser les querelles de chiffres pour construire une résistance commune.
Ainsi, la vraie question n’est pas : Qui est le plus persécuté ?
Mais bien : Pourquoi la persécution reste-t-elle possible, et pourquoi le monde s’y habitue-t-il ?