L’Occident regarde la fumée, pas le feu
Les volcans indonésiens fascinent l’Occident, mais ils ne sont pas la véritable menace.
Une nouvelle éruption du volcan Lewotobi Laki-laki, sur l’île de Flores, a conduit à l’annulation de plus de trente vols à Bali, affectant des milliers de passagers. Comme à chaque fois qu’un volcan indonésien gronde, les images impressionnantes de panaches de cendres envahissent les médias occidentaux, fascinés par la violence spectaculaire de la nature. Pourtant, cette obsession pour les catastrophes naturelles en Indonésie en dit long sur une forme de myopie journalistique : les volcans ne sont pas la vraie urgence pour l’archipel, ni pour le monde.
Une fascination sélective et apolitique
Il est indéniable que l’Indonésie est l’un des pays les plus volcaniquement actifs au monde. Mais cette réalité géologique est depuis longtemps domestiquée, vécue, ritualisée par les populations locales. Les éruptions, aussi spectaculaires soient-elles, ne constituent pas la principale menace pour les Indonésiens.
Ce qui menace réellement l’Indonésie aujourd’hui — et qui est trop souvent passé sous silence par les grands médias internationaux — ce sont les crises structurelles : la déforestation galopante, les violations massives des droits humains en Papouasie occidentale, la répression des minorités, l’urbanisation anarchique, l’exploitation extractive, la militarisation des territoires indigènes, et la corruption institutionnalisée.
Pourquoi cette cécité médiatique ?
Pourquoi ces sujets sont-ils si peu visibles ? Parce qu’ils dérangent. Parce qu’ils ne se laissent pas réduire à de jolies images aériennes ou à des anecdotes touristiques. Parce qu’ils obligeraient les rédactions occidentales à interroger non seulement les choix du gouvernement indonésien, mais aussi les intérêts économiques et géopolitiques que l’Occident y entretient — dans les mines de nickel, dans le commerce d’armements, dans le silence diplomatique autour des répressions.
Une éruption volcanique est un événement spectaculaire, mais essentiellement apolitique. Elle permet aux médias de parler de l’Indonésie sans avoir à parler de sa politique. Elle évacue les vrais conflits. Elle dépolitise le réel.
Un besoin de lucidité
Il ne s’agit pas de minimiser les risques posés par les volcans. Mais de remettre les choses à leur juste place. Ce ne sont pas les éruptions qui causent le plus de souffrances en Indonésie aujourd’hui. Ce sont des dynamiques plus silencieuses et prolongées : l’expansion des activités extractives qui transforment profondément les territoires, la disparition progressive des forêts primaires, les tensions liées à l’accès à la terre, les déplacements de communautés, ou encore la marginalisation culturelle de certains peuples autochtones.
Car au-delà des pertes matérielles ou écologiques, il y a aussi des blessures identitaires. Quand des traditions sont mises à l’écart, des langues menacées d’extinction, ou des pratiques spirituelles reléguées à des spectacles touristiques, c’est tout un rapport au monde qui vacille. Cette transformation n’est pas toujours brutale, mais elle est réelle, souvent irréversible. Là où un volcan offre des images impressionnantes, une crise identitaire se déroule souvent dans le silence et la lenteur.
Or, ce silence-là mérite tout autant d’attention. Ce ne sont pas seulement les fumées des cratères qui devraient inquiéter, mais aussi l’effacement progressif de voix, de cultures, de mémoires vivantes. Sous les paysages sublimes que l’on célèbre souvent depuis l’extérieur, il y a des histoires plus fragiles, moins visibles, mais essentielles. Et elles méritent d’être racontées avec autant de soin et de profondeur que le grondement d’un volcan.