Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 22 juin 2025

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Larmes pour les Ours, Silence pour les Hommes

Alors que l’Occident pleure la disparition des espèces animales, il reste étrangement muet face aux génocides silencieux des peuples autochtones. Une compassion sélective, hypocrite, qui préfère sauver les arbres que les hommes. Ce texte dénonce un écologisme dépolitisé, aveugle aux injustices humaines les plus flagrantes.

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Larmes pour les Ours, Silence pour les Hommes :

L’hypocrisie des défenseurs de la biodiversité face aux génocides des peuples autochtones

Dans un monde occidental où l’on pleure la disparition des abeilles et où l’on érige des sanctuaires pour les pandas, une étrange dissonance morale persiste : celle d’un amour affiché pour la faune et la flore, qui va de pair avec une indifférence froide et persistante face à l’effacement progressif – et souvent violent – de peuples autochtones. Des campagnes virales pour « sauver la planète » font rage, tandis que des centaines de communautés humaines enracinées depuis des millénaires dans leurs terres ancestrales sont dépossédées, assassinées ou intégrées de force dans des systèmes qui les détruisent. L’Occident, pourtant prompt à dénoncer les dictatures lointaines et les crimes environnementaux, reste remarquablement silencieux devant ce que l’on pourrait appeler un écocide humain, voire un ethnocide global.

Une compassion sélective : sauver la nature, oublier les peuples

Les campagnes médiatiques en faveur de la protection des espèces menacées ont gagné en intensité. On finance la réintroduction du lynx en France, on s'émeut devant le sort du tigre du Bengale, on boycotte les pailles en plastique pour sauver les tortues. Pourtant, ces gestes symboliques, souvent empreints de bonne conscience écologique, n’ont que rarement leur équivalent lorsqu’il s’agit de défendre les derniers peuples chasseurs-cueilleurs, bergers nomades ou sociétés forestières.

Prenons l’exemple de la Papouasie occidentale. Cette région riche en biodiversité abrite également plus de 250 groupes ethniques autochtones. Alors que les ONG internationales dénoncent l’exploitation illégale des forêts tropicales, rares sont celles qui s’indignent de la répression systématique, des déplacements forcés, ou encore des exécutions extrajudiciaires que subissent les Papous depuis des décennies sous domination indonésienne. La forêt mérite d’être protégée ; l’homme qui y vit, non.

Le génocide en douce : l’histoire se répète, dans l’indifférence

L’humanité a déjà connu des génocides brutaux, aux visages monstrueux : celui des Juifs d’Europe, celui des Arméniens, celui des Tutsis. D'autres, plus lents et insidieux, s'opèrent dans le silence complice de la communauté internationale et sous des masques plus policés : développement, sécurité nationale, intégration.

Les Aborigènes d’Australie, pour ne citer qu’un exemple, ont vu leur population décimée après l’arrivée des colons britanniques. Enfants volés à leurs familles, langues interdites, terres confisquées : une destruction culturelle systématique. Aujourd’hui, on les filme dans des documentaires avec une pointe d’exotisme, mais leur réalité sociale est tragique : taux de suicide élevé, pauvreté structurelle, marginalisation.

Les peuples autochtones d’Amazonie, eux, meurent à petit feu, empoisonnés par les rivières polluées au mercure par l’exploitation minière illégale, expulsés de leurs terres au nom de l’agro-industrie ou abattus par des milices. Et pourtant, les campagnes occidentales mettent en avant les dauphins roses et la canopée, plus faciles à aimer que des visages bruns dénonçant l’impérialisme économique.

L’aveuglement moral d’un écologisme dépolitisé

Ce que révèle cette hiérarchie implicite de la compassion, c’est un écologisme coupé de l’humanisme, voire hostile à la complexité humaine. La nature, dans l’imaginaire occidental post-industriel, est belle quand elle est vide : forêt sans feu, savane sans huttes, jungle sans cris. L’humain y est vu comme un intrus, une anomalie. Sauf, bien sûr, l’homme blanc voyageur ou le photographe de National Geographic.

Cet écologisme spectral préfère défendre le loup que le berger kurde, le gorille que l’enfant pygmée. Il ne veut pas de conflits, de responsabilité historique, ni de remise en question des privilèges coloniaux. Car protéger les peuples signifie aussi dénoncer les multinationales, les États complices, l’histoire impériale de l’Occident. Mieux vaut donc rester dans l’univers lisse du marketing vert.

Vers une écologie décoloniale et intégrale

Il est temps de poser une question éthique fondamentale : une écologie qui oublie l’humain est-elle encore juste ? Peut-on défendre la biodiversité tout en restant aveugle au biocide humain que constitue l’effacement programmé des peuples autochtones ?

Des penseurs comme Vandana Shiva, Eduardo Galeano, ou encore Aimé Césaire ont dénoncé ce colonialisme vert. Une écologie véritable doit être enracinée dans la justice, la mémoire, et la reconnaissance des luttes indigènes. Car ce sont souvent ces peuples qui protègent, au péril de leur vie, les derniers bastions de biodiversité mondiale.

Il est temps de sortir d’une vision romantique et inoffensive de la nature, et de s’engager pour une écologie politique, anticoloniale, et solidaire. Une écologie qui reconnaît que l’arbre qu’on veut sauver n’est pas séparé de l’homme qui l’habite. Que la terre ne peut être aimée que si l’on aime aussi ceux qui en vivent.

La cohérence ou la barbarie

Pleurer l’extinction du rhinocéros blanc tout en restant indifférent à celle des Akuntsu, des Korowai, ou des Mbuti est une hypocrisie morale qui devrait nous faire honte. L’avenir du vivant passe par une réconciliation profonde entre écologie et humanité. Les larmes pour les animaux ne valent rien si elles s’accompagnent d’un silence complice devant les génocides lents de nos frères humains.

La planète ne sera pas sauvée par des campagnes de publicité ni par des influenceurs verts. Elle le sera, si elle l’est, par une révolution du regard, une éthique de la cohérence et une solidarité radicale avec ceux qui, aujourd’hui, sont encore vus comme les derniers obstacles à l’avidité des puissants.

« Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie, pas de justice pour la Terre sans justice pour ses peuples. » — Pape François, Laudato Si.

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