Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 22 juin 2025

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Les opiums modernes qui anesthésient nos consciences

À l’heure où les grandes messes nationales et les hashtags à la mode envahissent nos écrans, nos consciences, elles, semblent prendre des vacances prolongées. Rien de tel qu’un bon slogan creux et une cérémonie bien huilée pour anesthésier toute velléité de pensée critique. Vive la mobilisation… de la passivité !

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Les opiums modernes qui anesthésient nos consciences

Dans nos sociétés contemporaines, il est frappant de constater combien les cérémonies officielles et les slogans se multiplient, souvent célébrés comme des outils d’unité et de mobilisation.

Pourtant, loin d’éveiller les consciences ou de provoquer un engagement authentique, ces rituels et formules simplistes tendent à endormir, voire à abrutir, les esprits. Ces « opiums » modernes se déploient dans toutes les sphères : politique, sociale, environnementale, culturelle…

Et ils touchent également les cercles progressistes, où ils prennent parfois la forme d’idéologies creuses ou de discours creux qui paralysent l’action réelle.

Un spectacle collectif qui endort plutôt qu’il ne construit

Les grandes cérémonies nationales, commémorations ou journées internationales, relayées en boucle par les médias, tendent à transformer des enjeux complexes en événements symboliques aseptisés. Par exemple, les commémorations militaires nationales, malgré leur importance historique, sont souvent vidées de tout questionnement critique. Elles deviennent des rituels de célébration qui encouragent un réflexe patriotique superficiel, évitant d’aborder les causes profondes des conflits ou leurs conséquences durables.

De même, les campagnes environnementales, à travers des slogans simplistes et des gestes symboliques comme la plantation d’arbres « en masse », créent une illusion d’action collective sans véritable remise en question des modèles économiques ou politiques destructeurs.

Ce spectacle permanent, fait de répétitions stériles, suscite chez beaucoup une forme de fatigue mentale, un réflexe passif où l’on participe mécaniquement sans réfléchir ni agir.

Les slogans : des formules qui réduisent la pensée

Le slogan est devenu la langue courante du débat public : court, percutant, émotionnel. Mais c’est souvent au prix d’une simplification extrême, qui empêche de saisir la complexité des problèmes. Des expressions comme « Justice pour tous », « Ensemble pour le changement », « Sauver la planète » ou « Tous unis » semblent mobilisatrices, mais elles se vident vite de sens dans leur utilisation répétée, sans projet clair ni action concrète.

Sur les réseaux sociaux, cette dynamique est amplifiée. Les hashtags et phrases toutes faites remplacent souvent la réflexion. Ils peuvent même servir à masquer des positions floues ou à neutraliser la critique. Cette tendance contribue à un brouillard mental collectif, où la pensée devient superficielle, fragmentée, et où le vrai débat démocratique s’érode.

Les « opiums » modernes touchent aussi les progressistes

L’erreur serait de croire que ces mécanismes ne concernent que les discours conservateurs ou nationalistes. Les « opiums » symboliques hantent aussi les mouvements progressistes et les cercles engagés. Les luttes sociales ou écologiques peuvent être récupérées dans des langages creux, des slogans standardisés, des événements médiatiques sans lendemain.

Par exemple, dans certains milieux militants, la multiplication des campagnes ponctuelles, des appels aux hashtags ou des manifestations spectaculaires, sans construction stratégique durable, produit un activisme superficiel. Le militantisme devient un défilé de symboles rassurants qui protège de l’usure mais n’avance guère.

Il en résulte une forme d’auto-endormissement collectif, où la radicalité réelle, la remise en cause profonde des systèmes, sont remplacées par des postures ritualisées et des slogans creux, souvent échappatoires à la complexité.

Exemples concrets d’« opiums » modernes : comment le spectacle anesthésie la pensée

Pour bien comprendre comment les cérémonies, slogans et idéologies creuses rendent stupides, il est utile d’observer des exemples actuels issus de différents domaines : politique, environnement, mouvements sociaux et médias.

1. La politique du slogan creux et des grands rassemblements

Dans de nombreux pays, les campagnes électorales sont souvent réduites à des formules toutes faites, comme « Le changement maintenant ! » ou « Ensemble, tout est possible ». Ces expressions, répétées sans fin dans les meetings et sur les affiches, donnent l’illusion d’un projet fort, mais cachent le plus souvent un vide programmatique.

Prenons l’exemple des élections récentes dans plusieurs démocraties, où les grands rassemblements massifs ressemblent davantage à des spectacles de divertissement qu’à des débats politiques sérieux. Le show prime sur le contenu, les slogans sur les propositions. Le citoyen, exposé en boucle à ces messages simplistes, finit par accepter sans critique, voire par adhérer émotionnellement, sans comprendre ni s’engager réellement.

 2. L’activisme environnemental à l’ère des réseaux sociaux

Les crises écologiques sont bien réelles et urgentes, mais l’action collective est souvent réduite à des gestes symboliques relayés en masse sur les réseaux sociaux : selfies avec une pancarte, hashtags à la mode (#SaveThePlanet, #FridaysForFuture), ou plantations d’arbres sans réflexion sur les causes profondes.

Ces actions, bien que positives en apparence, peuvent masquer une incapacité à affronter les structures économiques mondiales responsables de la déforestation, de la pollution, ou du changement climatique. Le spectacle de l’engagement numérique et des manifestations « tendance » produit un confort moral illusoire, et bloque la remise en question radicale nécessaire.

3. Les mouvements sociaux et l’illusion du « tous ensemble »

Les mouvements sociaux contemporains, de la lutte contre les inégalités à celle pour les droits civiques, sont souvent séduits par des slogans fédérateurs et des manifestations symboliques. Mais dans certains cas, cette « unité » affichée masque des divisions profondes ou une absence de stratégie commune.

Par exemple, dans certaines mobilisations, les débats complexes sur les objectifs ou les moyens sont évités au profit d’appels à l’unité et à la mobilisation émotionnelle. Ce réflexe empêche la maturation d’un projet politique clair et conduit à une dispersion de l’énergie militante.

4. Les médias et le règne du sensationnalisme

Les médias jouent un rôle central dans cette production d’opiums symboliques. À force de privilégier le sensationnel, l’immédiateté, et les formats courts, ils réduisent les débats à des joutes d’opinions simplifiées, sans approfondissement.

L’actualité est souvent traitée comme un spectacle, avec des images choc, des déclarations choc, des polémiques faciles. Le public, sollicité en permanence, finit par adopter une posture passive et émotionnelle, plutôt qu’une analyse critique.

Les mécanismes communs à ces « opiums »

Dans tous ces cas, on retrouve des mécanismes similaires qui favorisent l’endormissement intellectuel :

  • La répétition systématique d’un message simpliste crée une habituation et un réflexe de réception passive.
  • La mise en scène émotionnelle remplace l’argumentation par l’affect.
  • La pression sociale pousse à l’adhésion collective, décourageant la pensée dissidente.
  • La substitution du contenu par la forme transforme le débat en spectacle.
  • La fragmentation des publics empêche la construction de projets communs solides.

Ces exemples illustrent à quel point les « opiums » modernes ne se contentent pas de pacifier les masses, ils participent à une véritable dilution de la pensée critique et à une infantilisation politique et sociale. Le danger est de voir s’installer une culture de la passivité où l’émotion et le spectacle remplacent l’engagement réfléchi, et où les slogans creux deviennent des substituts à l’action réelle.

Dénoncer toute idéologie vide et reprendre la main

Face à cela, il est vital de développer une conscience critique qui sache lire derrière les apparences, interroger les motivations profondes, et favoriser des formes d’engagement basées sur la réflexion et l’action durable.

Il importe de rejeter toutes les idéologies vides – qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou culturelles – qui masquent la réalité sous des formules creuses et des rituels sans substance.

Seule une conscience collective lucide et autonome peut résister à l’endormissement imposé par ces opiums modernes, et ouvrir la voie à des transformations profondes.

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