Buzzers : Propagande et Mensonge à l’Ère Numérique
À l’ère du numérique, les batailles politiques ne se livrent plus uniquement dans les parlements ou les rues, mais dans les fils Twitter, les commentaires Facebook, les hashtags TikTok.
En Indonésie — l’un des pays les plus connectés au monde, où les réseaux sociaux dominent l’espace public — cette nouvelle arène est désormais saturée d’un bruit calculé, orchestré par les buzzers politik. Véritables mercenaires de l’opinion, ces figures numériques façonnent le paysage mental du public à coups de désinformation, de glorification artificielle du pouvoir et de lynchages coordonnés contre toute voix dissidente.
Le plus cynique dans ce théâtre algorithmique ? Le cri du voleur : "maling teriak maling" — celui qui vole crie au voleur. Dans cette inversion perverse, les vrais parasites de la nation se présentent comme patriotes, tandis que les critiques sincères sont désignés comme traîtres à la solde de l’étranger.
La fabrique du consentement numérique
Depuis la montée au pouvoir de figures populistes et autoritaires, l’usage systématique de buzzer est devenu une stratégie politique centrale. Ces buzzer ne sont pas de simples internautes passionnés. Il s’agit de réseaux structurés, parfois rémunérés, parfois liés à des agences de communication proches du pouvoir, voire à des entités militaires ou sécuritaires. Ils inondent les plateformes sociales de contenus uniformisés : slogans, mèmes, narratifs à répéter mécaniquement. Leur mission : faire taire les critiques, créer un consensus artificiel, et transformer tout débat public en adoration unanime du leader.
Le miroir inversé : “maling teriak maling”
Ce qui choque le plus, c’est la stratégie d’inversion morale. Les buzzer — souvent financés, coordonnés, et protégés par des élites politiques ou des réseaux d’intérêt — accusent systématiquement les voix critiques d’être des “agents étrangers”, des “mercenaires du dollar”, ou des “cyberterroristes”. Ce sont eux, disent-ils, qui “divisent la nation”, “détestent leur propre pays”, ou “bavent sur les héros de la patrie”. Or, la vérité est à l’opposé : ce sont ces buzzer eux-mêmes qui vendent leur voix pour de l’argent, pour un poste, pour une proximité avec le pouvoir. Leur patriotisme est de façade ; leur loyauté est transactionnelle. Ils crient “traîtres !” pour mieux masquer leur propre trahison du peuple.
Le culte de la figure autoritaire
Le rôle fondamental des buzzer est de construire un culte autour de la figure du pouvoir : le président, les généraux, les “orang kuat” (hommes forts). Toute critique devient un sacrilège. Le peuple est hypnotisé non par le dialogue démocratique, mais par des récits simplistes : “le dirigeant est bon, s’il échoue c’est à cause de ses ennemis.” Les erreurs systémiques sont niées, déguisées, ou attribuées à des boucs émissaires imaginaires : l’Occident, les ONG, les activistes des droits humains.
La répression déguisée en patriotisme
Sous couvert de défendre la nation, ces armées numériques harcèlent les défenseurs des droits humains, les journalistes d’investigation, les universitaires critiques, les artistes indépendants. Des campagnes de diffamation, de doxxing, de menaces de mort sont lancées contre ceux qui osent poser des questions. Le tout dans un climat d’impunité absolue. Ces actes ne sont pas spontanés : ils sont souvent coordonnés, scriptés, recyclés. Derrière chaque post virulent se cache un modèle de propagande.
Un peuple pris en otage
Le résultat ? Un peuple qui doute de tout… sauf de ses idoles.
Au sein de la diaspora indonésienne, le discours dominant reste stéréotypé : il faut embellir l’image du pays, taire les failles. Évoquer des vérités dérangeantes — comme la montée de l’intolérance ou les violations des droits humains en Papouasie occidentale —, même lorsqu’elles sont étayées par des faits, est souvent perçu comme un acte de trahison ou d’antipatriotisme.
Une jeunesse grandit avec l’idée que partager un article critique peut relever du crime. La démocratie n’est plus qu’une façade : les élections ont lieu, les journaux paraissent, mais l’espace public est verrouillé, saturé de bruit et vidé de débat.
Résistances et éveils
Malgré tout, des poches de résistance existent. Des collectifs de journalistes indépendants, des plateformes de vérification, des activistes numériques conscients luttent pour rétablir un espace sain de débat. Mais ils avancent en terrain miné. Car dans cette guerre asymétrique, les buzzer ont l’argent, la protection, et l’algorithme de leur côté.
Épilogue
Ce n’est pas seulement l’Internet indonésien qui est en jeu. C’est la mémoire collective. L’Histoire future. Chaque jour où les buzzer dominent est un jour où la vérité recule, où le mensonge s’enracine, où l’oppression se pare des habits de la vertu.
Ce ne sont pas des critiques qui trahissent la nation. Ce sont ceux qui, pour un peu de pouvoir ou un contrat lucratif, étouffent la conscience d’un peuple. Les vrais ennemis de la démocratie ne sont pas ceux qui parlent trop — ce sont ceux qui veulent que plus personne ne parle.