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Billet de blog 22 juillet 2025

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Kalimantan n’est pas une terre vide : les Dayak face à la nouvelle transmigration

Dans les profondeurs de Kalimantan, en Indonésie, les Dayak s’opposent fermement à un nouveau projet de transmigration massive qui menace leur territoire ancestral. Sous couvert de développement, cette politique risque d’effacer des cultures millénaires et d’exclure les populations autochtones. Un combat pour la reconnaissance, la justice et la survie est en train de se dessiner.

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Kalimantan n’est pas une terre vide : les Dayak face à la nouvelle transmigration

Dans les forêts profondes de Kalimantan central, l’Indonésie semble rejouer une vieille partition : déplacer les masses depuis les îles surpeuplées comme Java vers des régions qualifiées de « vides » ou « disponibles ».

Un vocabulaire trompeur, lourd de mépris historique. Car non, Kalimantan n’est pas une page blanche sur laquelle l’État peut écrire son projet de développement à l’encre du bulldozer.

Planification inclusive ou colonisation intérieure ?

Au cœur de cette politique dite de « transmigration », le gouvernement prévoit l’installation de milliers de familles dans plusieurs districts de Kalimantan central, notamment à Kotawaringin Timur, Sukamara ou Gunung Mas. Une initiative qui se veut moderne, planifiée, inclusive. Pourtant, sur le terrain, la colère gronde.

« Nous ne sommes pas contre le progrès, mais nous refusons d’être effacés. »

Le Dewan Adat Dayak (Conseil coutumier Dayak), avec à sa tête Gahara, a récemment publié un rejet catégorique du projet. D’autres organisations locales comme Aliansi Dayak Bersatu, APP GMTPS ou encore le mouvement TBBR tirent la sonnette d’alarme : le spectre d’un déplacement silencieux des autochtones pour faire place à des populations venues d’ailleurs, appuyées par l’État, ressurgit.

Sous prétexte de développement, c’est un processus d’invisibilisation culturelle et d’expropriation foncière qui menace. Les Dayak l’ont vécu hier, ils le reconnaissent aujourd’hui. Et cette fois, ils refusent de se taire.

Transmigrants privilégiés, autochtones oubliés

Le déséquilibre est flagrant. Les familles transmigrantes bénéficient de logements neufs, de routes, d’accès à la terre — parfois avec titres de propriété — et de formations agricoles. Pendant ce temps, dans les villages dayak, des enfants marchent encore des heures pour atteindre l’école la plus proche, les routes sont impraticables, et les terres ancestrales restent non reconnues juridiquement.

Faut-il rappeler que l’inégalité n’est pas une fatalité, mais une construction ? Une construction que l’État perpétue aujourd’hui au profit de la majorité démographique, au détriment des peuples minoritaires mais fondateurs.

Kalimantan, forêt vivante et mémoire collective

Le discours officiel évoque des terres sous-utilisées, des espaces à valoriser. Mais pour les Dayak, cette forêt n’est ni vide ni inutile : elle est vivante, sacrée, utile, habitée. C’est un hôpital naturel, un espace spirituel, une archive du savoir transmis sans écrit.

Qualifier ces terres de « vacantes » revient à nier la culture qui les habite. C’est imposer la logique du rendement là où règne la logique du lien. C’est faire violence, sous couvert de modernité.

L’alternative existe : écoute, respect, justice

Les peuples autochtones de Kalimantan ne demandent pas des privilèges. Ils demandent que le développement commence par eux, pas sans eux. Que l’on reconnaisse leurs terres, leurs droits, leurs priorités. Qu’on cesse de leur présenter les migrants, notamment javanais comme des « frères » s’il s’agit de les installer à leur place, avec les moyens qu’on leur a toujours refusés.

Ils demandent ce que toute démocratie pluraliste devrait garantir : la co-détermination de leur avenir.

Leçons d’un rejet

Ce rejet de la transmigration par les Dayak n’est pas un caprice identitaire. C’est un acte de survie politique, écologique et culturel. En le balayant d’un revers de main, le gouvernement prend le risque de rouvrir les plaies du passé, d’attiser les tensions communautaires et de briser encore un peu plus le contrat moral qui lie les peuples indigènes à la République d’Indonésie.

Il est temps que Jakarta comprenne que la vraie richesse de Kalimantan ne se compte pas en hectares disponibles, mais en communautés vivantes, enracinées, porteuses d’une sagesse dont le pays a cruellement besoin.

La transmigration ne peut plus être imposée. Elle doit désormais être écoutée. Et peut-être, un jour, réparée.

Source :

https://kalteng.tribunnews.com/2025/07/21/dewan-adat-dayak-kotim-tolak-transmigrasi-nasional-di-kalteng-khawatir-masyarakat-lokal-tersingkir

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