Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 23 septembre 2025

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CONEFO : l’utopie de Soekarno face à l’injustice structurelle de l’ONU

Dès 1965, Soekarno dénonçait l’ONU comme une machine au service des puissants, incapable de défendre les peuples opprimés. Avec le projet du CONEFO, il proposait une alternative du Sud global. À l’heure où la Palestine subit l’impuissance onusienne, cette utopie retrouve une troublante actualité.

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CONEFO : l’utopie de Soekarno face à l’injustice structurelle de l’ONU, une leçon pour aujourd’hui

L’histoire officielle voudrait que l’Organisation des Nations unies incarne la justice, la paix et la coopération internationale. Pourtant, dès les années 1960, certains leaders du Tiers-Monde avaient déjà compris que cette façade n’était qu’un masque dissimulant la domination des puissances victorieuses de 1945. Parmi eux, Soekarno, premier président de l’Indonésie, osa poser la question que beaucoup taisaient : peut-on attendre l’égalité d’une institution construite sur l’inégalité même ? Sa réponse fut claire : non. De cette conviction naquit le projet du CONEFO (Conference of the New Emerging Forces), une organisation alternative destinée à briser le monopole des grandes puissances occidentales sur la scène internationale.

L’ONU, instrument des puissants déguisé en tribunal universel

La critique de Soekarno n’a rien perdu de sa force. Le Conseil de sécurité de l’ONU, dominé par cinq membres permanents dotés du droit de veto, fonctionne comme un club privé où les intérêts des puissants passent avant les principes proclamés. Derrière les discours sur la paix, ce sont les logiques de guerre froide, puis aujourd’hui de rivalités géopolitiques, qui dictent les décisions.

La Palestine en est l’exemple le plus criant. Depuis plus de soixante-dix ans, le peuple palestinien subit colonisation, occupation, apartheid et bombardements, sans que l’ONU ne soit capable de lui offrir justice. Chaque tentative de résolution contraignante est bloquée par le veto des États-Unis, protecteurs indéfectibles d’Israël. Où est donc l’universalité de l’ONU, sinon dans la répétition d’un mensonge commode ? Soekarno avait vu juste : tant que le droit international dépendra du bon vouloir des grandes puissances, il restera une arme dirigée contre les faibles.

CONEFO : une révolte diplomatique contre l’hypocrisie

Le CONEFO n’était pas un simple projet bureaucratique. C’était un acte de rébellion. Soekarno, fort de l’expérience de Bandung en 1955, voulait donner corps à une diplomatie des peuples opprimés. Le monde ne pouvait pas continuer à être divisé entre les OLDEFO (Old Established Forces, les forces établies de l’impérialisme) et les NEFO (New Emerging Forces, les forces montantes de la libération nationale) sans que ces dernières créent leur propre espace.

Jakarta devait devenir le cœur battant de ce nouvel ordre mondial. Le CONEFO devait réunir les nations progressistes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. En d’autres termes, il s’agissait d’arracher la diplomatie internationale aux griffes des vieilles puissances coloniales.

Mais l’histoire est cruelle : le coup d’État militaire de 1965, orchestré avec la bénédiction des États-Unis et de leurs alliés, renversa Soekarno. Le rêve du CONEFO fut enterré sous les décombres d’un massacre anticommuniste qui fit des centaines de milliers de morts. Le message était clair : toute tentative de défier l’ordre international établi serait punie sans pitié.

Une actualité brûlante : la Palestine, miroir de l’impuissance onusienne

Revenons au présent. Chaque nouvelle offensive contre Gaza ou en Cisjordanie confirme la faillite de l’ONU. Les Palestiniens n’ont pas besoin de déclarations de « préoccupation », mais d’actions concrètes. Or ces actions sont systématiquement bloquées par les vetos des grandes puissances.

Que reste-t-il alors du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » inscrit dans la Charte des Nations unies ? Un principe théorique, vidé de toute substance. Le contraste est glaçant : quand l’Ukraine est envahie, l’ONU s’agite, condamne, mobilise. Quand la Palestine est écrasée, l’ONU se tait, paralysée par ses propres contradictions.

Soekarno l’avait dit : « Le monde est divisé entre les forces vieillissantes qui défendent leurs privilèges et les forces nouvelles qui réclament justice. » Cette phrase pourrait être prononcée aujourd’hui par n’importe quel militant palestinien, congolais ou sahraoui.

Vers un nouvel ordre multipolaire ?

À l’époque, le CONEFO échoua parce que le rapport de forces ne lui était pas favorable. Mais aujourd’hui, l’équilibre mondial change. Les BRICS élargis, l’Union africaine, l’ASEAN, l’ALBA en Amérique latine, sont des embryons de ce que Soekarno imaginait : un front du Sud global refusant la soumission au Nord.

Bien sûr, ces coalitions sont traversées de contradictions. La Chine et l’Inde ne défendent pas les mêmes intérêts, pas plus que le Brésil et la Russie. Mais leur simple existence fissure l’illusion de l’unité occidentale. Chaque fois qu’un pays du Sud refuse de s’aligner sur Washington ou Bruxelles, c’est l’esprit du CONEFO qui ressurgit.

Actualiser l’utopie de Soekarno

Le CONEFO n’a jamais vu le jour, mais son idée est plus vivante que jamais. Elle rappelle que la justice internationale ne peut pas être confiée à une institution contrôlée par ceux-là mêmes qui perpétuent l’injustice.

La Palestine nous montre, avec une cruauté quotidienne, que l’ONU est incapable de protéger un peuple opprimé contre l’alliance cynique de l’impérialisme et de l’occupation. Si Soekarno vivait aujourd’hui, il dirait sans doute : « Cessez d’attendre la justice de ceux qui vivent de l’injustice. Bâtissons nos propres institutions. »

Le CONEFO fut un échec historique, mais il demeure une leçon politique : la liberté des peuples ne viendra pas d’en haut, mais de leur capacité à s’unir pour renverser un ordre mondial fait sur mesure pour leurs oppresseurs.

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