Quand la police confond des livres avec des armes
La récente décision de la police de Java Est de saisir plusieurs ouvrages dits « anarchistes » lors d’arrestations liées aux émeutes de fin août en Indonésie ne devrait pas passer inaperçue. Elle illustre une dérive inquiétante : celle d’un État qui confond la lecture avec l’incitation, la pensée avec l’action, l’idée avec le crime.
Dans les maisons des 18 suspects interpellés, les policiers ont exhibé comme « preuves » des ouvrages allant de Guerrilla Warfare Strategy de Che Guevara à Anarchism d’Emma Goldman, en passant par un texte du jésuite Franz Magnis Suseno… dont le contenu n’a pourtant rien de subversif : il s’agit d’une critique du marxisme, et non d’un manuel de révolution. Autrement dit, un livre universitaire a été assimilé à un outil de déstabilisation.
La peur des idées
L’affaire n’est pas nouvelle dans un pays où le communisme est banni depuis 1966, et où tout soupçon d’idéologie « rouge » est perçu comme une menace. Mais en assimilant la simple possession d’un livre à une preuve de culpabilité, la police franchit une ligne rouge : celle qui sépare le maintien de l’ordre de la censure intellectuelle.
Un livre, par définition, n’est pas un cocktail Molotov. Il peut troubler, il peut questionner, il peut provoquer un débat. Mais l’État qui criminalise la lecture se prive de la possibilité même de comprendre les courants de pensée qu’il combat. Pis encore, il infantilise ses citoyens en leur refusant le droit de se confronter à des idées, fussent-elles radicales.
Les voix qui s’élèvent
Les réactions indignées n’ont pas tardé. Le père Otto Gusti Madung, recteur d’un institut philosophique, a dénoncé une atteinte directe à la liberté de penser. Le juriste Muhammad Isnur a rappelé que la police semble ignorer la différence entre opinion et infraction. Quant au père Magnis Suseno, dont l’un des livres a été saisi, il souligne l’absurdité d’une telle opération : son texte critique Marx, il ne l’encense pas.
Le contraste est frappant : d’un côté, une police exhibant des ouvrages comme des trophées, persuadée d’avoir mis la main sur le carburant des émeutes ; de l’autre, des intellectuels rappelant que la démocratie repose sur la confrontation des idées, pas sur leur confiscation.
Une pente glissante
Ce qui est en jeu dépasse le simple sort de quelques étudiants ou militants. Si un État commence à poursuivre des citoyens non pas pour ce qu’ils font, mais pour ce qu’ils lisent, c’est toute la société qui s’engage sur une pente glissante. Aujourd’hui, c’est Marx ou Goldman. Demain, ce pourrait être des penseurs féministes, écologistes, ou toute critique du pouvoir en place.
L’histoire l’a montré : aucun régime n’a jamais réussi à « éradiquer » une idée en brûlant ou en interdisant des livres. Au contraire, ces gestes alimentent la défiance, attisent la curiosité, et renforcent précisément les idéologies que l’on cherche à museler.
Défendre la pensée, c’est défendre la liberté
Dans une Indonésie qui se veut démocratie, la saisie de livres « anarchistes » révèle une tentation autoritaire. Elle rappelle que la véritable force d’un État ne réside pas dans sa capacité à confisquer des ouvrages, mais dans son aptitude à laisser les idées circuler librement, pour mieux les confronter et les dépasser.
Un pays qui a peur des livres est un pays qui a peur de lui-même.
Source :
https://www.ucanews.com/news/indonesian-cops-slammed-for-seizing-anarchist-books/110367