Soekarno et Prabowo : la Palestine entre intransigeance et compromis
Quand on évoque la question palestinienne, l’Indonésie est souvent présentée comme un phare moral du monde musulman et de la lutte anticoloniale. Pourtant, l’histoire révèle une fracture saisissante entre deux visions : celle de Soekarno, le premier président indonésien, et celle de Prabowo Subianto. L’une repose sur le courage et l’intransigeance, l’autre sur le pragmatisme… voire la compromission.
Soekarno : un héros du tiers-monde ou un idéaliste puriste ?
Soekarno ne transigeait pas. Pour lui, la Palestine n’était pas une question diplomatique abstraite : c’était une question de justice, de liberté et de décolonisation. Il considérait l’existence même d’Israël comme un acte de colonisation moderne, une injustice imposée par l’Occident au cœur du Moyen-Orient.
À la Conférence de Bandung en 1955, Soekarno fut clair : pas d’accommodement, pas de compromis. La solidarité avec les Palestiniens était absolue et non négociable. Aucun calcul géopolitique, aucun intérêt stratégique ne venait tempérer sa condamnation de l’occupation israélienne. Dans ses discours, il n’hésitait pas à dénoncer l’injustice avec la force d’un tribun : « Tant que la liberté de la Palestine n’aura pas été rendue à son peuple, l’Indonésie se tiendra fermement contre l’occupation israélienne. »
Cette position, radicale et courageuse, fit de l’Indonésie un leader du mouvement des non-alignés et un symbole moral pour les nations en lutte contre l’oppression. Mais elle avait un prix : isolement diplomatique et rupture totale avec Israël.
Prabowo : la diplomatie pragmatique… ou le compromis ambigu ?
Des décennies plus tard, Prabowo Subianto reprend la question palestinienne, mais avec une toute autre logique. Fini l’intransigeance morale : place à la solution à deux États, au compromis et aux conditions diplomatiques. Prabowo soutient l’idée que la reconnaissance d’Israël pourrait être envisagée, tant que la Palestine est reconnue en premier.
Cette approche « réaliste » permet à l’Indonésie de jouer un rôle constructif sur la scène internationale tout en explorant des opportunités économiques et technologiques avec Israël. Mais elle soulève une question brûlante : est-ce encore de la solidarité, ou juste une tentative de ménager la chèvre et le chou ? Offrir la reconnaissance conditionnelle d’Israël alors que le peuple palestinien reste sous occupation peut être perçu comme une dilution du soutien historique indonésien.
Dans le discours de Prabowo, la Palestine est présentée davantage comme un enjeu de gestion pragmatique des relations internationales que comme une question strictement morale. L’Indonésie, jadis phare de la justice anticoloniale, semble se fondre dans la diplomatie des compromis.
Une fracture morale évidente
La différence entre les deux approches est saisissante. Soekarno voyait la Palestine comme une question de justice pure et intransigeante : pas de négociation, pas de compromis, juste le droit des Palestiniens à la liberté et à l’indépendance totale. Prabowo, quant à lui, semble considérer la Palestine à travers le prisme de la stratégie et du pragmatisme diplomatique : soutenir une solution à deux États, reconnaître Israël sous conditions, et chercher à équilibrer les relations internationales.
Ainsi, la principale divergence se situe au niveau de l’approche internationale : Soekarno misait sur la lutte du tiers-monde et se méfiait d’une ONU dominée par les grandes puissances, tandis que Prabowo privilégie le multilatéralisme au sein de l’ONU.
L’héritage de Soekarno repose sur l’ardeur et la conviction, la fidélité à une cause juste, même contre vents et marées. L’approche de Prabowo, elle, reflète le calcul et la diplomatie, au risque de diluer la force morale qui a longtemps distingué l’Indonésie sur la scène internationale.
Conclusion polémique
Il y a là une fracture profonde dans l’âme diplomatique de l’Indonésie. Soekarno incarnait le courage et l’intransigeance face à l’oppression ; Prabowo incarne le compromis et la diplomatie pragmatique. Le premier voulait un monde où la justice prime sur l’intérêt ; le second semble penser qu’il faut ménager toutes les parties pour exister sur la scène mondiale.
Le dilemme est clair : l’Indonésie restera-t-elle fidèle à son héritage de solidarité anticoloniale ou cédera-t-elle aux séductions du pragmatisme stratégique ? La Palestine, encore et toujours, reste le miroir de cette tension morale.