Après la gloire, le doute : le cas Jokowi
Qui se souvient encore de lui ? À l’issue de son second mandat, Joko Widodo – que les Indonésiens appelaient simplement Jokowi – avait quitté le palais de Merdeka sous les acclamations d’une nation encore séduite par son style terre-à-terre, son franc-parler et ses visites spontanées dans les marchés populaires.
Des honneurs du palais aux couloirs de la police : l’ancien président face au soupçon
Le "président du peuple", comme l’appelaient ses partisans, semblait destiné à rester une figure respectée, sinon intouchable, du panthéon républicain indonésien. Et pourtant, en ce mois de juillet 2025, c’est dans les couloirs froids de la Bareskrim, la police criminelle nationale, qu’il a dû affronter l’humiliation de tout ancien chef d’État : répondre à des dizaines de questions, les yeux dans les yeux, sur la validité de son propre diplôme universitaire.
L’homme aux chemises sobres, aujourd’hui visiblement fatigué, a passé trois heures face aux enquêteurs. Quarante-cinq questions. Un interrogatoire glacial, encadré de caméras et d’interprétations médiatiques. Dehors, la foule n’était plus là. Juste quelques curieux, des journalistes, et les membres déterminés du Tim Pembela Ulama dan Aktivis, un groupe conservateur qui réclame la vérité depuis des années sur ce qu’ils qualifient de "manipulation d'État". Leur cible : l’authenticité du diplôme de Jokowi, obtenu à l’université Gadjah Mada dans les années 1980.
L’ombre d’un mensonge
Tout avait commencé comme un bruit de fond. Une rumeur, une vidéo, un professeur retraité pointant des incohérences typographiques dans une thèse supposée rédigée par Jokowi. L’affaire avait fait surface dès 2022, mais comme tant d’autres polémiques, elle s’était noyée dans le tumulte de la vie politique. Mais à l’approche de l’après-pouvoir, les attaques ont gagné en intensité. Des plaintes officielles ont été déposées. Les médias ont ravivé le feu. Et l’ancien président, en citoyen ordinaire, s’est vu contraint de remettre entre les mains de la police ses diplômes du lycée et de l’université pour qu’ils soient examinés en laboratoire forensique.
L’image était saisissante. Le président qui jadis s’exprimait à l’ONU, qui accueillait des chefs d’État au G20, se retrouvait à défendre la légitimité de son propre passé scolaire. À l’issue de l’interrogatoire, il a récupéré ses diplômes et a lancé, d’une voix calme mais ferme : "Si le tribunal en a besoin, je suis prêt à venir." Ce n’était plus un dirigeant qui parlait, mais un homme seul, encerclé par le soupçon.
Le crépuscule d’un mythe
Le 21 mai 2025, la police a classé l’affaire. Aucune preuve de fraude. Les documents ont été comparés, analysés, certifiés. L’université a confirmé : Jokowi est bien diplômé. Fin de l’histoire, du moins sur le papier. Mais dans les mémoires, dans les réseaux sociaux, dans les cercles militants, la tâche est là. Indélébile. Pour certains, c’est le retour à la vérité. Pour d’autres, c’est une cabale politique. Entre ces deux extrêmes, il y a cette impression troublante d’avoir assisté à la chute d’une figure que l’on croyait inébranlable.
Jokowi n’est plus président. Il est désormais un homme hanté par son passé — qu’il soit réel ou soigneusement reconstruit. L’aura du réformateur s’estompe, laissant derrière elle le simple souvenir d’un sourire modeste, d’un homme qui voulait incarner une Indonésie dorée.
Mais les soupçons de corruption passive, les arrangements opaques autour de méga-projets d’infrastructure, et surtout le népotisme assumé dans l’ascension éclair de son fils Gibran à la vice-présidence ont terni l’image de probité qu’il avait patiemment façonnée. Reste alors cette étrange sensation : qu’en démocratie, même les mythes finissent par s’effondrer.