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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 24 juillet 2025

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Les cercueils venus de loin : tragédie silencieuse en NTT, Indonésie

Chaque mois, des cercueils scellés reviennent à Nusa Tenggara Timur (NTT), en Indonésie. Ils contiennent les corps de migrants morts à l’étranger, partis sans protection. Derrière ces tragédies silencieuses se cache un système inégal, où l’exil est la seule issue et la mort, un retour programmé.

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Les cercueils venus de loin : tragédie silencieuse en NTT, Indonésie

Chaque mois, dans un village perché des collines de Timor ou de Flores, en Nusa Tenggara Timur (NTT), en Indonésie, une rumeur flotte dans l’air brûlant.

Elle arrive d’abord comme un soupçon, puis comme une nouvelle confirmée : "Un autre est mort là-bas." Là-bas, c’est toujours ailleurs. La Malaisie, les bateaux de pêche du Pacifique, les plantations invisibles. Et la nouvelle finit toujours par prendre corps sous la forme d’un cercueil hermétique, livré par avion jusqu’à Kupang, puis escorté en pick-up vers des chemins de poussière.

Depuis janvier 2025, 75 cercueils sont ainsi revenus en NTT. 75 vies perdues, dont 70 dans la clandestinité, parties sans passeport officiel, sans contrat, sans garantie de retour. Des noms anonymes dans des rapports administratifs, mais des fils, des sœurs, des pères pour ceux qui restent.

Un exode sans protection

Derrière chaque cercueil, il y a une histoire. Celle de Rita, par exemple, jeune femme partie travailler comme domestique à Kuala Lumpur, décédée d’un AVC non soigné. Celle de Mario, engagé comme pêcheur sur un navire battant pavillon taïwanais, mort noyé quelque part entre Vanuatu et Fidji. Aucune assurance. Aucun syndicat. Aucun retour possible, sauf en boîte scellée.

Pourquoi partent-ils ainsi ? La réponse est simple, douloureuse, répétée à l’envi par les chercheurs, les défenseurs des droits, les prêtres : parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.

"Nous récoltons les fruits pourris d’un système qui a échoué à protéger les plus pauvres", déclare un chercheur cité dans le rapport. L’échec, c’est celui d’un État qui divise les migrants entre "prosedural" (officiel) et "non prosedural" (irrégulier), et qui n’offre pratiquement aucune protection aux seconds. Une distinction hypocrite, disent les ONG, car tous sont des travailleurs. Tous sont des êtres humains.

Les silences du système

Le voyage commence souvent dans la clandestinité, avec la promesse d’un emploi et un billet payé à crédit. Il passe par Batam ou Kalimantan, puis s’évapore dans les réseaux obscurs de l’exploitation transnationale. Là où l’État ne suit plus. Là où les lois ne protègent plus. Et lorsque survient un accident, une maladie, une disparition : c’est le silence.

Dans certains cas, les familles reçoivent un appel laconique : "Anak ibu sudah meninggal." ("Votre enfant est mort.") Aucun détail. Parfois même, aucun corps. Et l’administration locale peine à enquêter, ou à faire pression sur les gouvernements étrangers pour réclamer justice.

Des ONG comme SBMI, Padma, ou Jaringan Advokasi Buruh Migran se battent chaque jour pour documenter ces drames, identifier les responsables, forcer l’État à agir. Mais la machine reste lente. Et pendant ce temps, les départs continuent.

L’exil comme destin

À TTS, à Sumba ou à Lembata, l’idée du départ est déjà intégrée dans les récits familiaux. "Tu dois aller gagner de l’argent ailleurs", entend-on. Parce qu’ici, la terre se rétrécit, l’eau manque, les écoles n’embauchent pas, les barrages promis par Jakarta n’apportent que des promesses.

Un responsable pastoral de l’Église catholique confie : "Chaque cercueil que nous bénissons à l’aéroport est un rappel cruel : nous avons échoué. Comme Église, comme État, comme société."

Et pourtant, aucune politique claire n’émerge. Aucun programme massif de régularisation, de formation, de sensibilisation. L’État regarde ailleurs. L’Église, parfois, prie sans parler trop fort.

Certains chercheurs proposent de supprimer la distinction entre migrants réguliers et irréguliers, et de garantir des droits fondamentaux à tous : accès à la santé, assistance légale, enquête en cas de mort suspecte. Ils réclament aussi un investissement réel dans les zones rurales de NTT, pour offrir aux jeunes autre chose qu’un aller simple vers l’inconnu.

Ni réguliers, ni protégés : les damnés de la migration indonésienne

Mais le chemin est long. Et pendant ce temps, le mois prochain, il y aura peut-être un autre cercueil. Peut-être deux. Et une autre famille endeuillée, qui regardera un corps revenu trop tard, trop loin, trop silencieux.

Le sort des travailleurs migrants de NTT n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’un choix collectif : celui de ne pas bâtir une protection sociale solide, de ne pas encadrer équitablement la migration, de laisser les marges mourir en silence. Et comme le dit un prêtre local : "Tant que nous acceptons que ces morts soient normales, alors c’est nous qui sommes devenus anormaux."

Source :

https://floresa.co/reportase/mendalam/77319/2025/07/23/kasus-kematian-pekerja-migran-asal-ntt-meningkat-peneliti-kita-sedang-memanen-krisis-dari-sistem-yang-gagal

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