Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

372 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 septembre 2025

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Israélophiles en Indonésie : minorité courageuse ou trahison nationale ?

En Indonésie, soutenir Israël relève de la dissidence. Dans un pays où la Palestine est devenue symbole sacré d’identité et de lutte anticoloniale, une minorité ose défendre l’État hébreu. Entre fascination technologique, foi biblique et provocation identitaire — jusque chez certains Papous — ces voix brisent le tabou national.

Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Israélophiles en Indonésie : minorité courageuse ou trahison nationale ?

En Indonésie, soutenir la Palestine n’est pas seulement une opinion politique : c’est un réflexe identitaire, une évidence morale, un ciment national. Depuis Sukarno jusqu’à aujourd’hui, le rejet d’Israël est inscrit dans l’ADN de la diplomatie indonésienne, nourri par l’héritage anticolonial et par la solidarité religieuse envers un peuple perçu comme opprimé. Dans les rues de Jakarta comme dans les mosquées de Surabaya, le drapeau palestinien flotte plus facilement que celui d’Israël.

Les raisons d’un choix marginal

Et pourtant, au cœur de ce consensus apparemment inébranlable, une minorité d’Indonésiens ose briser le tabou. Ces « israélophiles » – qu’ils soient technophiles fascinés par l’innovation israélienne, chrétiens évangéliques nourris par une théologie du peuple élu, ou simples esprits rebelles face au conformisme ambiant – défendent ouvertement ou discrètement l’État hébreu. Pour les uns, il s’agit d’un geste courageux et lucide ; pour les autres, d’une provocation insupportable, voire d’une véritable trahison nationale.

L’admiration technologique

Pour certains jeunes urbains, entrepreneurs ou ingénieurs, Israël représente un modèle de résilience et de modernité. Dans un pays obsédé par le développement économique, le « miracle israélien » suscite une fascination : agriculture high-tech, cybersécurité, start-up florissantes. Leur soutien n’est pas politique mais pragmatique : pourquoi refuser de s’inspirer d’un pays qui réussit ?

La foi comme moteur

Chez certains Indonésiens chrétiens, surtout dans les cercles évangéliques, Israël occupe une place quasi mystique. Le lien biblique avec la Terre sainte nourrit une fidélité spirituelle qui transcende les considérations diplomatiques. Pour eux, soutenir Israël est un acte de foi, même au prix de l’isolement social.

L’esprit de dissidence

Enfin, il existe des Indonésiens qui soutiennent Israël par simple rejet de l’unanimisme national. Ils dénoncent une société incapable de nuance, où la Palestine est sanctifiée et Israël diabolisé. Pour ces voix dissidentes, défendre Israël est moins un acte de conviction qu’un cri contre la pensée unique.

Le paradoxe papou

Le cas de la Papouasie illustre toute la complexité du phénomène. Beaucoup de Papous se considèrent comme un peuple opprimé par le pouvoir central de Jakarta, privé de ses droits fondamentaux et soumis à une domination militaire et culturelle. À première vue, leur situation devrait les rapprocher de la cause palestinienne : deux peuples subjugués, deux luttes pour la liberté.

Pourtant, on observe régulièrement des manifestations pro-israéliennes en Papouasie. Comment expliquer ce paradoxe ?

1. Une solidarité religieuse : pour une partie de la population chrétienne papoue, Israël est avant tout la « Terre biblique », le pays du peuple élu. La dimension spirituelle prend le pas sur l’analyse politique.

2. Un rejet de l’islamisation perçue : certains Papous associent la cause palestinienne à l’islam majoritaire en Indonésie, qu’ils identifient au pouvoir central qui les marginalise. Afficher un soutien à Israël devient alors un acte de différenciation identitaire.

3. Une provocation symbolique : manifester pour Israël peut être lu comme un moyen de contester l’idéologie dominante de Jakarta, qui érige la Palestine en cause sacrée nationale. Les Papous retournent ainsi le symbole pour exprimer leur propre dissidence.

Ce paradoxe met en lumière la fragmentation de la solidarité internationale. Être opprimé ne conduit pas toujours à soutenir les opprimés d’ailleurs : parfois, c’est le rejet de son oppresseur immédiat qui dicte les choix symboliques.

Le prix du courage – ou de la provocation

Être pro-israélien en Indonésie, c’est s’exposer. Dans un pays où l’opinion publique est massivement pro-palestinienne, les israélophiles risquent insultes, marginalisation et accusations de trahison. Sur les réseaux sociaux, ils sont rapidement qualifiés d’« agents de l’Occident » ou de « vendus au sionisme ». Sur le plan politique, afficher une telle position équivaut à un suicide symbolique : aucun responsable n’oserait franchir le pas publiquement.

Le tabou est d’autant plus fort que l’Indonésie n’entretient pas de relations diplomatiques avec Israël. Toute sympathie envers Tel-Aviv se retrouve donc sans ancrage institutionnel, réduite à des gestes isolés et souvent clandestins.

Courage intellectuel ou trahison nationale ?

La question reste ouverte : les israélophiles indonésiens incarnent-ils un courage intellectuel, celui de briser un tabou et de pluraliser le débat public ? Ou bien commettent-ils une trahison symbolique, en piétinant la solidarité avec la Palestine et en défiant l’identité politique nationale ?

Dans un pays où la Palestine est devenue un miroir de la lutte anticoloniale, soutenir Israël est bien plus qu’une opinion étrangère : c’est un acte explosif, qui oscille entre lucidité et provocation.

Un tabou persistant

En Indonésie, défendre Israël reste un geste marginal, risqué et profondément polémique. Pourtant, cette minorité existe, et son simple existence révèle une vérité dérangeante : même dans une démocratie traversée par l’unanimisme, il y a toujours des voix discordantes.

Le paradoxe papou illustre à quel point le soutien à Israël n’est pas toujours rationnel ni idéologique : il peut être spirituel, identitaire, voire provocateur. Reste à savoir si ces voix sont les pionnières d’un débat futur, ou les hérétiques condamnés à l’oubli.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.