Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 24 septembre 2025

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La révolution indonésienne selon Soekarno

Soekarno, bien qu’imparfait comme homme politique, nous lègue un enseignement essentiel : la révolution ne se limite pas à la conquête du pouvoir, mais vise la transformation de la nation entière. Politique, sociale et culturelle, elle reste inachevée tant que la justice et la dignité ne touchent pas tous les citoyens.

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La révolution indonésienne selon Soekarno : un projet national, social et toujours inachevé

Selon Soekarno, la révolution indonésienne ne se réduit pas à un simple événement ponctuel ni à la libération du colonialisme. Elle constitue un processus continu, visant à assurer la liberté, la justice sociale et la dignité pour l’ensemble des Indonésiens. Il insiste sur le fait que cette lutte ne se limite pas au cadre national, mais s’inscrit dans un mouvement mondial plus vaste, destiné à renverser l’ordre ancien et à instaurer un nouvel ordre fondé sur l’égalité et la justice.

Cependant, contrairement aux doctrines marxistes traditionnelles, Soekarno ne met pas l’accent sur la classe ouvrière comme moteur principal de la révolution. Son projet révolutionnaire vise la transformation globale de la nation dans son ensemble, englobant paysans, artisans, ouvriers, minorités et intellectuels.

Une révolution nationale avant tout

Pour Soekarno, la révolution commence par la nation. La libération politique de l’Indonésie en 1945 n’était qu’un point de départ, non une fin. La véritable révolution nécessite l’unification d’un peuple dispersé sur des milliers d’îles et divisé par des différences ethniques, religieuses et culturelles.

Cette priorité nationale distingue Soekarno de Marx ou Lénine, qui considèrent la classe ouvrière comme moteur de l’Histoire. Soekarno affirme que la révolution ne peut réussir que si elle inclut tous les membres de la société, et non un seul groupe social. La nation est le cœur de la révolution, et chaque citoyen, qu’il soit paysan ou artisan, doit y trouver sa place.

Le Marhaenisme : justice sociale pour tous

Le Marhaenisme est la pierre angulaire de la vision sociale de Soekarno. Inspiré par un petit paysan qu’il rencontre à Java, il formule un socialisme adapté à la réalité indonésienne, loin du dogme marxiste. Le Marhaen n’est ni un prolétaire industriel ni un révolutionnaire de classe : il représente la majorité de la population, souvent laissée pour compte par les élites et les modèles importés.

Pour Soekarno, la révolution sociale devait passer par une redistribution des terres et des ressources, afin de réduire la pauvreté et d’assurer à chacun l’accès à l’éducation ainsi qu’aux moyens de production. Élever la dignité et la reconnaissance sociale des Marhaens ainsi que des minorités constitue l’objectif que Soekarno place au cœur du projet national.

La justice sociale n’y est pas conçue comme une lutte de classes au sens occidental, mais comme une finalité collective de la nation. Dans cette perspective inclusive, le Pancasila, idéologie nationale formulée par Soekarno, devait servir de fondement pour garantir la coexistence harmonieuse et protéger les minorités contre la tentation hégémonique de la majorité musulmane en Indonésie. 

La révolution culturelle : libération des esprits

Pour Soekarno, la révolution ne se limite pas à l’indépendance politique ou à la redistribution matérielle. Elle doit aussi transformer les esprits. La révolution culturelle consiste à :

  • Éveiller la conscience nationale et la fierté culturelle.
  • Promouvoir les valeurs traditionnelles tout en s’adaptant aux défis contemporains.
  • Résister aux influences étrangères qui continuent de dominer les esprits, même après la libération.

Cette dimension est presque absente des théories classiques : Soekarno ne se limite pas à libérer la société de l’oppression extérieure, il vise également à émanciper l’âme de la nation. Le progrès, selon lui, dépend de l’incarnation de ses principes fondamentaux par les citoyens, et l’éducation morale doit dépasser la simple diffusion d’une idéologie.

Une révolution inachevée et toujours actuelle

La singularité de Soekarno réside sans doute dans sa vision multidimensionnelle : nationale, sociale et culturelle. Contrairement à d’autres révolutions qui sacrifient culture ou identité au profit de l’idéologie ou du pouvoir, la révolution indonésienne vise à transformer la société entière, sans privilégier un groupe social au détriment des autres.

Malheureusement, des décennies après l’indépendance, les inégalités persistent. Les paysans, artisans et populations marginalisées attendent toujours une véritable justice sociale. La révolution n’est donc pas terminée : elle demeure un chantier pour chaque génération.

Une révolution pour tous 

Soekarno, en tant qu’homme politique, fut loin d’être parfait. Si son charisme et sa vision nationaliste ont marqué l’histoire de l’Indonésie, plusieurs de ses initiatives ont montré leurs limites. Cependant, ses idées nous offrent un enseignement fondamental :

La révolution ne consiste pas à établir la domination d’une classe sur une autre, mais à transformer l’ensemble d’une nation. Politique, sociale et culturelle, elle reste incomplète tant que tous les citoyens, et en particulier les plus modestes, n’ont pas atteint la dignité, l’égalité et la liberté.

Pour Soekarno, la véritable révolution est un projet humain inachevé, une promesse qui doit être poursuivie de génération en génération, jusqu’à ce que la justice sociale devienne réalité pour chacun. Elle nous rappelle que la véritable indépendance ne se mesure pas aux drapeaux ou aux constitutions, mais à la condition réelle de vie de chaque citoyen.

Une révolution nationale dans la ligne des grandes transformations politiques et économiques de notre temps par Soekarno 

https://www.monde-diplomatique.fr/1964/05/SUKARNO/25984

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