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Billet de blog 24 septembre 2025

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Les entreprises publiques indonésiennes en crise ?

Alors que le gouvernement indonésien envisage d’abolir ou de transformer le ministère des Entreprises publiques, un débat s’ouvre sur l’avenir de ce pilier économique. Les entreprises publiques sont-elles réellement en crise, ou s’agit-il plutôt d’un problème de gouvernance et de pouvoir, entre bureaucratie d’État et logique de marché ?

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Les entreprises publiques indonésiennes en crise ?

Depuis plusieurs mois, l’Indonésie débat de l’avenir de son ministère des Entreprises publiques. Certains veulent le transformer en simple organisme, d’autres l’abolir, d’autres encore le maintenir en l’état. Cette discussion ne relève pas seulement de la technique administrative : elle interroge le rôle même des entreprises publiques dans le modèle économique indonésien et la place que l’État doit continuer à occuper dans leur gestion.

Quand l’économie servait l’ordre autoritaire

Sous Soeharto (1967-1998), les entreprises publiques constituaient le cœur du système clientéliste. Elles servaient à financer le régime, à nourrir les réseaux militaires et bureaucratiques, et à consolider l’ordre autoritaire en distribuant rentes et privilèges. L’« État développeur » proclamé n’était pas seulement un moteur économique, il était aussi un appareil de redistribution politique au profit de l’élite au pouvoir. Les inefficacités, les dettes et les scandales qui marquent encore aujourd’hui certaines entreprises publiques trouvent leurs racines dans cette logique patrimoniale.

Pour ne mentionner que quelques exemples, la compagnie aérienne Garuda Indonesia avait accumulé des dettes de plusieurs milliards de dollars avant sa restructuration, tandis que d’autres entreprises, comme la compagnie pétrolière Pertamina ou l’entreprise d’électricité PLN, bénéficient d’une position quasi monopolistique, mais restent fragilisées par une gouvernance contestée et des subventions étatiques importantes.

Une réforme qui redistribue les cartes du pouvoir

La réforme récente, avec l’adoption de la loi sur les entreprises publiques en 2025 et la création du super-holding Danantara, a bouleversé l’équilibre existant. Les prérogatives de pilotage, de supervision et de gestion, autrefois détenues par le ministère, se déplacent vers cette nouvelle structure plus agile, plus technocratique, et surtout conçue sur le modèle de fonds souverains étrangers tels que Temasek à Singapour ou Khazanah en Malaisie. Pour beaucoup, il devient alors absurde de maintenir une lourde machine bureaucratique si l’essentiel du pouvoir économique est déjà entre les mains de Danantara.

Entre redondance et inefficacité, l’argument pour la dissolution

Ceux qui plaident pour la dissolution du ministère dénoncent sa redondance et son inefficacité. Ils y voient une institution obsolète, incapable de s’adapter à la rapidité des marchés, et dont l’existence ne sert qu’à entretenir une bureaucratie coûteuse. Dans ce discours, les entreprises publiques doivent être gérées comme de véritables sociétés, libérées des lenteurs administratives, afin de rivaliser sur le marché mondial.

Mais la suppression du ministère soulève des inquiétudes. Car les entreprises publiques en Indonésie ne sont pas de simples instruments de profit. Elles garantissent souvent l’accès à l’énergie, aux transports ou aux communications dans des régions reculées où le secteur privé ne s’aventurerait pas. Elles portent une mission sociale, parfois même une mission nationale, que la logique financière seule ne peut assurer. Le ministère, malgré ses lourdeurs, joue encore le rôle de lien politique entre ces entreprises et l’intérêt général. Sa disparition ouvrirait la voie à un pouvoir économique concentré dans les mains d’un holding peu redevable devant les citoyens.

Les entreprises publiques, miroir des paradoxes de la gouvernance

Ce débat révèle surtout la diversité de la situation. Certaines entreprises publiques prospèrent et constituent une source de revenus substantielle pour l’État. D’autres accumulent les dettes et symbolisent les échecs de la gouvernance. Dire qu’elles sont « en crise » serait simplifier à l’excès : le problème tient moins à leur performance économique qu’au flou institutionnel dans lequel elles évoluent. Entre le ministère, le Parlement, Danantara et les différents régulateurs, les responsabilités se chevauchent et les conflits de compétences affaiblissent la cohérence des politiques.

Ce n’est donc pas une crise économique généralisée, mais bien une crise de gouvernance. L’Indonésie hésite entre deux logiques. D’un côté, une approche étatique classique, incarnée par le ministère, qui garantit une certaine continuité avec l’intérêt public mais s’enlise dans la bureaucratie. De l’autre, une approche technocratique et marchande, représentée par Danantara, qui privilégie l’efficacité financière mais risque de négliger les dimensions sociales et politiques.

Entre modernisation et responsabilité sociale

Plutôt qu’une abolition brutale, l’avenir semble résider dans un nouvel équilibre. Le ministère pourrait être recentré sur sa fonction politique, en tant que régulateur et garant de l’intérêt public, tandis que Danantara se chargerait de la gestion opérationnelle et financière. Mais cette répartition des rôles ne peut réussir qu’à condition de renforcer les mécanismes de transparence et de contrôle démocratique. Il faudra aussi protéger les travailleurs et préserver les missions de service public qui font partie intégrante de l’identité des entreprises publiques indonésiennes.

La question n’est donc pas de savoir si les entreprises publiques sont vouées à l’échec, mais comment elles peuvent continuer à jouer leur rôle stratégique dans une économie mondialisée sans se couper de leur responsabilité sociale. L’Indonésie fait face à un dilemme : moderniser ses institutions sans sacrifier le lien fragile entre l’État, l’économie et les citoyens.

Source :

https://tirto.id/quo-vadis-kementerian-bumn-dilebur-diturunkan-atau-bubarkan-hihw

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