Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 24 septembre 2025

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Papouasie : l’identité sous tension, entre négritude et silence officiel

En Papouasie Indonésienne, porter des dreadlocks dépasse la simple mode : c’est un acte de fierté culturelle et de résistance identitaire. Pourtant, dénoncer le racisme subi par les Papous reste délicat, car l’État privilégie « l’unité dans la diversité » et peut accuser tout militant de vouloir diviser la nation.

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Papouasie : l’identité sous tension, entre négritude et silence officiel

En Papouasie indonésienne, la simple manière de porter ses cheveux peut devenir un acte de résistance. Les cheveux crépus, les coiffures traditionnelles ou les dreadlocks, souvent associées à la culture rasta, ne sont pas qu’un choix esthétique : ils incarnent une fierté culturelle et une revendication identitaire face à des décennies de marginalisation et de violence étatique.

Pourtant, parler de racisme en Indonésie est une démarche délicate. Le pays se définit officiellement comme un archipel uni dans sa diversité, et toute dénonciation de discrimination peut être accusée de vouloir « diviser » la nation. Ce paradoxe place les militants des droits humains dans une situation particulièrement complexe : comment défendre la dignité des Papous tout en naviguant dans un climat politique où les mots eux-mêmes peuvent être perçus comme subversifs ?

La visibilité comme résistance

Pour les Papous, la visibilité est une arme. Dans un pays où la norme culturelle dominante est austronésienne, les traits mélanésiens — peau foncée, cheveux crépus, traits distinctifs — ont longtemps été stigmatisés. Les dreadlocks, adoptées par certains jeunes Papous inspirés par le mouvement rasta, deviennent un symbole de cette visibilité assumée. Elles revendiquent la négritude et l’héritage mélanésien, des notions qui rappellent que les Papous appartiennent à une communauté noire mondiale, bien distincte des autres groupes ethniques indonésiens.

Porter ces coiffures n’est jamais neutre. Des incidents documentés montrent que la police peut intervenir de manière brutale, contraignant parfois les jeunes à se raser ou à subir des violences pour ce seul motif. Ces gestes, apparemment anodins, traduisent une volonté de contrôler non seulement le corps mais aussi l’identité et l’expression culturelle. Dans ce contexte, arborer des dreadlocks devient un acte politique, une manière de dire : « Nous existons, nous sommes ici, et nous ne nous effacerons pas ».

L’unité nationale contre la reconnaissance des discriminations

Le paradoxe indonésien est profond. L’État insiste sur le slogan « Bhinneka Tunggal Ika » — l’unité dans la diversité — pour promouvoir la coexistence des différentes cultures et religions. Mais, pour les Papous, ce discours masque souvent une réalité bien plus sombre. Le racisme, la marginalisation et la répression sont niés sous couvert de la protection de l’unité nationale. Accuser le racisme peut se retourner contre le dénonciateur : il est alors présenté comme un élément « diviseur », menaçant l’harmonie nationale.

Ce dilemme est illustré par le cas de Victor Yeimo : porte-parole du mouvement indépendantiste papou KNPB (Comité national de libération de la Papouasie occidentale), il avait organisé des manifestations contre le racisme en 2019. Pour cet engagement, il fut accusé de trahison et finalement condamné pour incitation à la haine. Yeimo a été sanctionné en 2023 à 8 mois de prison (après une détention prolongée préventive de près de deux ans). Sa peine a été largement critiquée comme politiquement motivée.

Sa lutte a trouvé un écho à l’étranger : il a reçu le prix Voltaire (2023) de l’Association internationale des éditeurs pour la liberté d’expression, où son absence fut symbolisée par une « chaise vide ». Mais en Indonésie, il reste perçu par les autorités comme une figure honnie, voire une bête noire du nationalisme officiel.

Cette situation crée un climat d’autocensure. De nombreux militants choisissent de mettre l’accent sur les violations des droits humains de manière générale, plutôt que sur les injustices raciales spécifiques. Pourtant, le racisme structurel persiste, sous forme de contrôles policiers arbitraires, de répression des manifestations pro-indépendance et de marginalisation économique et sociale. L’équilibre entre visibilité et sécurité devient alors un exercice délicat.

Négritude et identité mélanésienne : au-delà d’une mode

L’adoption de dreadlocks en Papouasie ne relève pas d’une imitation des cultures afro-caribéennes. Elle s’inscrit dans une réappropriation consciente de la négritude et dans l’affirmation d’une identité noire et mélanésienne. Le mot « Melanesia » signifie littéralement « îles noires », rappelant que la pigmentation foncée des Papous est au cœur de leur identité historique. Dans un monde où le regard extérieur tend à les essentialiser ou à les invisibiliser, ces gestes symboliques deviennent des moyens puissants d’affirmation personnelle et collective.

En revendiquant cette identité, les Papous construisent des ponts avec d’autres luttes mondiales contre le racisme, s’inspirant parfois de mouvements comme Black Lives Matter. Mais leur contexte est unique : ils se confrontent à un État qui nie la dimension raciale de la discrimination et qui utilise le discours de l’unité nationale comme justification pour réprimer toute revendication identitaire forte.

Violence, invisibilisation et solidarité internationale

Les violences auxquelles sont confrontés les Papous ne sont pas seulement physiques. Elles prennent la forme d’acculturation forcée, de migration interne imposée, et d’ostracisation sociale. Les manifestations pacifiques pour l’autodétermination sont régulièrement dispersées avec brutalité, et les activistes dénonçant ces pratiques risquent l’emprisonnement. Dans ce contexte, la visibilité des Papous — par leurs cheveux, leurs habits traditionnels, leur langue ou leurs manifestations culturelles — devient un acte de courage.

La solidarité internationale joue un rôle essentiel pour soutenir ces revendications. Les Papous trouvent dans les mouvements mondiaux de défense des droits des personnes noires un écho à leur propre lutte, tout en insistant sur leur singularité. Chaque dreadlock, chaque chant, chaque geste culturel devient un acte de résistance et une affirmation de leur dignité, face à des siècles d’injustices et de marginalisation persistante.

La visibilité comme acte d'émancipation 

En Papouasie, les dreadlocks et les expressions culturelles ne sont pas des simples modes. Elles incarnent la résistance, la fierté et la revendication d’une identité noire et mélanésienne. Elles rappellent que le racisme existe, même lorsque l’État le nie au nom de « l’unité dans la diversité ». Pour les militants et les Papous eux-mêmes, chaque acte de visibilité est un acte d'émancipation, une manière de dire : « Nous existons, nous sommes ici, et nous refusons d’être effacés ».

Dans ce contexte, le vrai défi n’est pas seulement de dénoncer les violences, mais de le faire en gardant l’équilibre fragile entre affirmation identitaire et sécurité, entre dénonciation et accusation de division. C’est ce dilemme qui définit la lutte contemporaine pour la reconnaissance et la dignité des Papous en Indonésie.

Le dilemme des militants

Faut-il dénoncer explicitement le racisme et risquer d’être accusé de « diviser » la nation, ou adopter un discours plus général sur les droits humains, en acceptant de laisser le racisme structurel dans l’ombre ? La solution n’est jamais simple. Chaque mot, chaque rapport, chaque communiqué doit naviguer entre précision, prudence et force morale. C’est une lutte de mots autant que de gestes, où la visibilité et la dignité des Papous doivent être affirmées sans déclencher de répression accrue.

Source :

https://laolaopapua.com/2025/07/14/kekerasan-negara-terhadap-warga-berambut-gimbal-di-papua/

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