ABS : Quand le Pouvoir Dévore le Sens Commun
Il existe un mal qui s’installe doucement mais sûrement dans certaines administrations et organisations : la mentalité ABS — acronyme de l’indonésien “Asal Bapak Senang”, que l’on pourrait traduire par « pourvu que le patron soit content ». Cette expression décrit une culture où tout se plie pour le supérieur, où chacun se tait pour ne pas déranger, et où les décisions sont prises pour plaire plutôt que pour servir l’intérêt général.
Dans ce système, les projets inutiles se multiplient et les besoins réels des citoyens passent au second plan. Dans une administration, un fonctionnaire peut signer un budget faramineux pour un projet qui ne verra jamais le jour, simplement parce qu’un ministre en a eu l’idée. Dans une entreprise, un collaborateur médiocre peut être promu parce qu’il sait répéter les mots que son supérieur veut entendre. Dans les villages, contester l’autorité locale peut représenter un risque important, et beaucoup préfèrent se taire.
Ce n’est pas la peur du changement qui paralyse, mais la peur de déplaire. La crainte de perdre la faveur d’un supérieur, d’être oublié dans la hiérarchie, ou de subir des représailles, conduit chacun à se soumettre. L’ABS transforme l’intelligence en servilité, la compétence en accessoire et le courage en erreur stratégique.
Ce comportement n’est pas un simple défaut individuel : c’est une culture organisationnelle qui nourrit la corruption, banalise l’incompétence et étouffe la démocratie. Chaque décision devient un théâtre de flatterie, chaque action un calcul pour éviter le regard critique. Les populations vulnérables paient le prix fort, invisibles dans ce jeu où seule compte la satisfaction du supérieur.
La solution ne se limite pas à la théorie : elle exige du courage quotidien. Il faut réapprendre à dire non, à proposer, à critiquer et à défendre l’intérêt général au lieu de courir après la faveur d’un supérieur. Il faut créer des institutions qui récompensent l’intégrité, protéger ceux qui osent, et valoriser l’action guidée par la justice plutôt que par la peur.
Chaque fois qu’un projet inutile est validé, chaque fois qu’un employé médiocre est promu, la société perd un peu plus son sens commun. Tant que la peur de déplaire domine, la mentalité ABS continuera de dévorer le courage, l’initiative et toute possibilité de progrès. Le véritable pouvoir de l’ABS ne se limite pas à contrôler les corps : il contrôle les esprits.