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Billet de blog 25 septembre 2025

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L’Indonésie accuse ! La force intellectuelle du plaidoyer de Soekarno

Le 1ᵉʳ décembre 1930, dans la salle d’audience du tribunal colonial de Bandung, Soekarno ne livra pas seulement une défense : il lança un acte d’accusation historique contre le colonialisme. Son plaidoyer, « Indonesia Menggugat », transcende le procès individuel pour devenir un cri universel contre l’oppression.

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L’Indonésie accuse ! La force intellectuelle du plaidoyer de Soekarno

Le 1er décembre 1930, dans la salle d’audience du tribunal colonial de Bandung, Soekarno prononce l’un des textes fondateurs de la conscience politique indonésienne moderne : Indonesia Menggugat (L’Indonésie accuse). Ce plaidoyer, rédigé en prison et lu devant les juges néerlandais, est bien plus qu’une défense personnelle : il se transforme en acte d’accusation historique contre le colonialisme. La structure, la force morale et l’énergie rhétorique de ce texte rappellent le J’accuse…! d’Émile Zola (1898), où l’écrivain français défendait le capitaine Dreyfus en attaquant le système judiciaire et militaire français. Dans les deux cas, un individu se dresse contre l’État et l’ordre établi, et transforme son procès en tribune pour la vérité.

Un texte qui dépasse la défense personnelle

Soekarno savait que sa condamnation était inévitable. Plutôt que de plaider l’innocence, il choisit d’accuser. Il déclare :

« On nous accuse de vouloir renverser le gouvernement. Mais en vérité, ce que nous accusons, ce sont l’injustice, la pauvreté et l’oppression engendrées par le système colonial. »

Cette stratégie transforme le procès en un moment fondateur de pédagogie politique. La salle d’audience devient une classe d’histoire et de droit, où le colonialisme est démasqué non comme un accident, mais comme un système structuré d’exploitation.

L’analogie avec Zola : du tribunal à la conscience nationale

Comme Zola en 1898, Soekarno déplace le procès hors du cadre juridique pour en faire un combat moral. Zola écrivait : « J’accuse…! » non seulement pour Dreyfus, mais pour la justice universelle. De même, Soekarno proclame :

« L’impérialisme est la source de nos souffrances. Il confisque nos terres, exploite notre force de travail et ferme le chemin de notre liberté. »

Ici, l’accusation vise non seulement les colons néerlandais, mais tout système d’oppression économique et politique. Le parallèle avec J’accuse tient à cette universalisation du propos : l’affaire dépasse le cas particulier pour devenir une cause collective.

Le poids intellectuel du plaidoyer

Le texte témoigne d’une érudition remarquable. Soekarno ne se limite pas à la rhétorique passionnée ; il mobilise une analyse économique et sociale solide, influencée par le marxisme, par l’anticolonialisme asiatique, et par une conscience aiguë des dynamiques mondiales. Il déclare :

« Le colonialisme marche toujours main dans la main avec le capitalisme. Là où il y a colonialisme, il y a exploitation. Et tant que cette exploitation existe, la résistance surgira. »

Par cette démonstration, Soekarno inscrit la lutte indonésienne dans un horizon historique universel. Il ne s’agit plus seulement de libérer l’Indonésie, mais de participer à une lutte mondiale contre l’impérialisme.

Une actualité brûlante

Près d’un siècle plus tard, la vigueur de ce texte reste intacte. Ses dénonciations de l’impérialisme résonnent face aux nouvelles formes de dépendance économique et politique. Les propos sur l’exploitation des ressources, la marginalisation des peuples autochtones et l’injustice structurelle pourraient être lus aujourd’hui, dans le contexte des crises écologiques et des inégalités globales, sans perdre leur pertinence.

Ainsi, Indonesia Menggugat peut être vu comme une version asiatique et anticoloniale du J’accuse. Là où Zola défendait un individu contre un système, Soekarno défend un peuple entier contre un empire. Le cri de Bandung, comme le cri de Paris, reste une référence pour toute réflexion sur la justice et la liberté.

Un héritage de parole libératrice

Comparer Indonesia Menggugat à J’accuse permet de mesurer sa densité intellectuelle et son poids historique. Dans les deux cas, la plume se fait arme, le tribunal devient tribune, et la vérité est proclamée au-delà du verdict judiciaire. Soekarno, comme Zola, a montré que la parole, lorsqu’elle est portée par la conviction et par l’analyse, peut ébranler les empires et nourrir la conscience des peuples.

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