Nourrir le monde ? Prabowo y croit. Mais l’Indonésie risque surtout d’y laisser ses forêts
Le 23 septembre 2025, à New York, devant l’Assemblée générale de l’ONU, Prabowo Subianto a voulu frapper fort : « L’Indonésie est autosuffisante en riz et deviendra le grenier alimentaire du monde. » Rien que ça. On aurait presque cru entendre un conte tropical : des rizières infinies, des cargos remplis de sacs de riz estampillés Made in Indonesia, et un président auréolé du rôle de sauveur planétaire.
Sauf qu’en y regardant de plus près, cette ambition héroïque ressemble beaucoup à une promesse faite sous stéroïdes. Oui, l’Indonésie produit plus de riz qu’avant. Oui, elle en exporte déjà un peu. Mais pour transformer le pays en lumbung pangan dunia, Prabowo ne compte pas sur la baguette magique : il table sur un rouleau compresseur nommé food estate. Et ce rouleau compresseur, lui, ne fait pas dans la dentelle écologique.
Merauke, le laboratoire du rêve
Prenons Merauke, en Papouasie méridionale. Cinq millions d’hectares à long terme, dit-on, dont un million déjà réservés au riz. On défriche, on assèche, on trace des routes. On promet aussi de la canne à sucre — tant qu’à faire, puisque les plaines sont vastes.
Le gouvernement vante un futur eldorado agricole. Mais les critiques, elles, parlent déjà de la plus grande opération de déforestation au monde. Les images satellites montrent des milliers d’hectares de forêts primaires et de zones humides avalées par les bulldozers. Pour le climat, on repassera ; pour la biodiversité aussi. Quant aux communautés papoues, priées de céder leurs terres ancestrales sans grand débat, elles voient arriver à la fois les plantations et l’armée.
Nourrir qui, exactement ?
C’est la question qui dérange. Derrière les discours sur la sécurité alimentaire mondiale, beaucoup soupçonnent que ces grands projets visent d’abord à satisfaire une obsession politique : montrer que l’Indonésie peut rivaliser avec la Chine ou le Brésil sur le terrain agricole. Mais à quel prix ?
Les sols de Merauke sont réputés acides, le climat capricieux. Le riz y poussera peut-être, mais pas sans engrais, sans irrigation, sans infrastructures colossales. Autrement dit : un gouffre financier, où l’on risque de produire du riz cher, arrosé d’argent public, pendant que les forêts partent en fumée.
L’équation impossible
Prabowo promet aussi du reboisement. Mais replanter quelques acacias ou eucalyptus ne recrée pas une forêt primaire. C’est un peu comme repeindre un Stradivarius en vert et prétendre que le violon est neuf. Les chiffres sont cruels : ce qui disparaît en Papouasie en quelques mois mettrait des siècles à être « compensé ».
Alors, l’Indonésie sera-t-elle à la hauteur de l’ambition présidentielle ? Peut-être en apparence : avec quelques exportations symboliques, des photos d’inauguration, des graphiques à la télévision. Mais nourrir le monde ? Non. Nourrir l’ego du président, oui.
Nourrir la planète, dévorer ses forêts
Au fond, le projet dit plus sur le style Prabowo que sur la sécurité alimentaire : grandiloquence, gesticulation internationale, et sur le terrain, une approche bulldozer. L’Indonésie sera sans doute plus connue pour les forêts qu’elle a perdues que pour les milliards de bouches qu’elle aurait nourries.
Et si, dans vingt ans, le monde se souvient de ce rêve, ce sera peut-être sous forme d’une question amère : fallait-il vraiment sacrifier tant de forêts pour une ambition qui ressemblait surtout à une opération de communication ?
Source :
https://ekbis.sindonews.com/read/1624193/34/prabowo-pamer-di-pbb-indonesia-swasembada-beras-bakal-jadi-lumbung-pangan-dunia-1758676140