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Billet de blog 26 juillet 2025

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Cantines scolaires en Indonésie : quand l’urgence nuit à la santé

Depuis 2024, l’Indonésie déploie un ambitieux programme de cantines gratuites pour les élèves. Si l’initiative vise à combattre la malnutrition, des cas répétés d’intoxications, dont le plus récent à Kupang, soulèvent de sérieuses inquiétudes. Entre objectifs politiques, gestion précipitée et risques sanitaires, le modèle est en question.

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Cantines scolaires en Indonésie : quand l’urgence nuit à la santé

Depuis 2024, l’Indonésie déploie un vaste programme de cantines gratuites pour les élèves du primaire, présenté comme la pierre angulaire de la « révolution du bien-être » promise par Prabowo Subianto. L’initiative, financée par l’État à hauteur de plusieurs milliards de dollars par an, ambitionne de distribuer plus de 70 millions de repas par jour, du lundi au vendredi. Mais aujourd’hui, derrière cette vitrine nutritionnelle, une série d’intoxications alimentaires révèle les failles d’un projet précipité, politisé et potentiellement dangereux.

Des intoxications en série dans les écoles

Les cas d’intoxication se multiplient. L'article du Parisien du 25 avril 2025 rapportait des dizaines de cas d’élèves tombés malades après avoir mangé les repas fournis à Cianjur, au sud de Jakarta. Les enfants décrivent des nausées, vertiges, vomissements, parfois accompagnés de fièvre. Le personnel scolaire parle de paniques collectives, d’absences scolaires prolongées et d’une peur croissante des repas distribués.

Mais le cas le plus récent – et potentiellement le plus alarmant – s’est produit le 22 juillet 2025 dans un collège de Kupang, capitale de la province de Nusa Tenggara Timur (NTT). Selon les médias locaux, plus de 50 élèves ont dû être hospitalisés après avoir consommé des œufs et du riz suspectés d’avoir été conservés à température ambiante pendant plusieurs heures. Le gouverneur local, embarrassé, a promis une enquête, mais aucun responsable n’a encore été sanctionné.

Prabowo minimise les incidents au nom des chiffres

Face à l’indignation publique, le président Prabowo Subianto a adopté une stratégie rhétorique bien rodée :

« Ce sont des cas isolés. Quand on distribue 70 millions de repas par jour, il est inévitable que quelques erreurs se produisent. »

Sur le plan statistique, ces intoxications représentent effectivement moins de 0,001 % des repas servis. Mais cette logique mathématique, utilisée pour neutraliser la critique, trahit une vision bureaucratique de la santé publique.

Car il ne s’agit pas d’un pourcentage, mais de corps d’enfants malades. Dans une démocratie, aucun citoyen – encore moins un enfant – ne devrait devenir un dommage collatéral d’un projet national, aussi ambitieux soit-il.

Un programme coûteux aux risques sanitaires amplifiés

Imaginons un instant qu’un tel programme soit transposé en France, dans sa forme indonésienne : repas gratuits pour tous les enfants du primaire, centralisés, produits en masse, souvent sous-traités à des PME locales.

Coût estimé :

Environ 9 à 12 milliards d’euros par an, selon le nombre de repas servis et les normes sanitaires françaises. Cela représenterait près de 4 à 5 fois le budget actuel du programme scolaire de cantines et d’aides alimentaires.

Risques immédiats :

1. Creusement du déficit public. En pleine période de tension budgétaire et de débat sur la réforme des retraites ou du RSA, un tel programme, sans ciblage social, créerait une pression massive sur les finances publiques.

2. Explosion du clientélisme local. Le modèle indonésien implique la délégation aux gouvernements locaux et des sous-traitants choisis souvent sans appel d’offres transparent. En France, cela ouvrirait la porte à un réseau de contrats politisés – “les cantines du maire” devenant un terrain de distribution d’emplois et de faveurs.

3. Risque de corruption alimentaire. Plus le volume est grand, plus le contrôle est difficile. La qualité des aliments peut être sacrifiée pour respecter les marges. Même en France, avec des organismes de contrôle stricts, on a connu des scandales (lasagnes de cheval, œufs contaminés). Dans un système surdimensionné, les maillons faibles se multiplient.

Lancé dans un climat électoral, le programme indonésien s’est mué en outil de légitimation politique. Le message est clair : “Regardez ce que je vous offre gratuitement.” Mais ce cadeau a un prix :

  • Un coût budgétaire lourd.
  • Une gestion chaotique dans les régions pauvres.
  • Une tolérance choquante pour les échecs sanitaires.

Les risques sont systémiques : absence de normes sanitaires unifiées, pressurisation des agents pour atteindre les quotas, et soupçons de favoritisme dans les marchés publics.

Le programme semble plus préoccupé par les volumes servis que par la qualité distribuée.

Nobles ambitions, réalités inquiétantes

Distribuer des repas gratuits à des millions d’enfants est un objectif noble. Mais encore faut-il s’en donner les moyens, en priorisant la sécurité alimentaire, la transparence logistique et l’écoute des familles concernées.

En Indonésie, ce qui devait devenir une célébration de la justice sociale est en train de se transformer en répétition bureaucratique d’une tragédie sanitaire.

Un repas scolaire ne doit jamais devenir un facteur de risque.

Et aucun enfant ne devrait tomber malade pour satisfaire une promesse électorale.

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