Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 26 septembre 2025

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Laborde et Subianto : ONU vs réalités indonésiennes

Jean-Paul Laborde, ancien sous-secrétaire général de l’ONU, encense le leadership de Prabowo Subianto à l’ONU. Charmant… si l’on oublie que des millions de paysans indonésiens survivent dans la pauvreté, que des enfants souffrent de malnutrition, et que le passé militaire du général au Timor oriental reste maculé par le massacre de Kraras.

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Jean-Paul Laborde et Prabowo Subianto : Louanges diplomatiques ou aveuglement stratégique ?

Le 23 septembre 2025, à la tribune de l’ONU, le président indonésien Prabowo Subianto prononçait un discours qualifié par Jean-Paul Laborde, ancien sous-secrétaire général de l’ONU, de « rare intensité ». Laborde y voyait un manifeste de « vrai leadership multilatéral », soulignant que ce discours rappelait « que le droit, et non la puissance, devait demeurer la clef de voûte des relations internationales »

https://www.lejdd.fr/International/multilateralisme-conflit-israelo-palestinien-le-discours-fort-de-lindonesie-devant-lonu-162319

Charmant. Sauf que, derrière ces mots, se cache une réalité beaucoup moins lumineuse.

Paysans indonésiens : invisibles mais essentiels

Laborde encense le « leadership » de Prabowo pendant que des millions de paysans indonésiens survivent avec des revenus dérisoires, malgré leur rôle central dans la production de riz du pays. Le prix élevé du riz ne les enrichit pas ; il enrichit surtout ceux qui profitent de circuits commerciaux opaques. Ainsi, le multilatéralisme glorifié sur la scène internationale semble oublier que la justice et la dignité commencent par nourrir ses propres citoyens.

Malnutrition et stunting : le silence assourdissant

Prabowo vante ses succès agricoles, ses exportations et ses corridors verts, mais des millions d’enfants souffrent encore de malnutrition et de stunting. Le contraste entre « production record » et famine silencieuse est saisissant. Laborde loue le discours du président, mais ignore, comme si par élégance diplomatique, les assiettes vides et les vies compromises.

Casques bleus et générosité internationale

Laborde mentionne avec admiration l’initiative de Prabowo pour le déploiement de 20 000 Casques bleus à Gaza. Louable, sans doute, si l’on oublie que la « paix » projetée sur la scène internationale n’a que peu d’incidence sur la sécurité alimentaire et sociale en Indonésie elle-même — et qu’après six décennies, le conflit militaire en Papouasie occidentale, territoire intégré en 1963 dans des circonstances contestées mais validées par l’ONU, demeure toujours sans solution. Célébrer la projection de puissance diplomatique alors que la paix intérieure reste fragile paraît, au mieux, naïf ; au pire, cynique.

Droits humains : l’ombre de Kraras et le passé au Timor oriental

Le silence sur le passé militaire de Prabowo au Timor oriental est assourdissant. En 1983, les forces dirigées par Prabowo ont été impliquées dans le massacre de Kraras, un épisode documenté par l’ONU où des dizaines de civils timorais furent tués dans une répression brutale. Les rapports de l’ONU qualifient ces actions de violations graves des droits humains. Pourtant, Laborde, ancien sous-secrétaire général de l’ONU, loue aujourd’hui le « leadership » de cet homme comme si ce passé n’avait jamais existé. L’élégance du discours diplomatique masque ici une amnésie historique inquiétante.

Entre discours et réalité : fracture indonésienne

Le contraste est frappant : un leader célébré pour sa fermeté et sa vision multilatérale sur la scène internationale, mais dont l’action passée et présente révèle une fracture profonde avec la réalité de son peuple. Pauvreté des paysans, malnutrition des enfants, violations des droits humains au Timor oriental… Tous ces faits deviennent des détails secondaires dans l’éclat des louanges de Laborde.

L’art piquant de la louange sélective

Jean-Paul Laborde nous offre un exemple saisissant de ce que peut être la louange diplomatique sélective. Admirer un dirigeant pour son rôle international tout en fermant les yeux sur son passé et les difficultés de sa population est un exercice d’une élégance piquante, mais d’une pertinence douteuse.

Les paroles brillent à l’ONU, mais la vérité demeure — celle des paysans, des enfants affamés et des victimes de Kraras. Laborde, en choisissant l’éclat d’un discours plutôt que l’ombre des faits, nous rappelle que la diplomatie peut être un art raffiné… et parfois cynique.

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