Les Pays-Bas restituent des statues, mais volent toujours 1945
La visite de Prabowo Subianto au roi Willem-Alexander, ce vendredi 26 septembre à La Haye, a été mise en avant comme un geste d’amitié : discussion cordiale, promesse de restituer des artefacts, sourires pour les photographes. Mais derrière cette façade polie se cache une hypocrisie flagrante. Car le vrai sujet, celui qui brûle encore quatre-vingts ans plus tard, n’a pas été abordé : la reconnaissance juridique de l’indépendance indonésienne en 1945.
1949 : une date inventée pour blanchir le colonisateur
Les Pays-Bas persistent à présenter 1949 comme la “naissance légale” de l’Indonésie. Ce récit est une manipulation. Il permet à La Haye de se poser en bienfaiteur qui aurait “accordé” l’indépendance, alors qu’en réalité elle fut arrachée par la lutte acharnée du peuple indonésien dès 1945.
En fixant la date à 1949, le colonisateur lave ses mains du sang versé entre 1945 et 1949, des massacres, des villages incendiés, des exécutions sommaires. Il efface aussi sa responsabilité politique : car si l’Indonésie est “née” en 1949, alors les crimes de la guerre coloniale ne sont plus que des “opérations de maintien de l’ordre” dans une colonie encore légale. Cynisme absolu.
Une reconnaissance morale… mais jamais juridique
Les Pays-Bas aiment rappeler qu’ils ont “reconnu” 1945. Mais il ne s’agit que d’une reconnaissance morale : en 2005, l’ambassadeur néerlandais à Jakarta a admis que son pays se rangeait “du côté de ceux qui ont proclamé l’indépendance en 1945”. En 2022, Mark Rutte a même présenté des excuses pour la violence excessive de l’armée coloniale.
Mais attention : sur le plan juridique, rien n’a changé. Dans le droit international, dans les traités, dans la mémoire officielle néerlandaise, la date reste 1949. Les Pays-Bas n'ont jamais versé d'indemnisation (compensation officielle ou réparation) à l'Indonésie pour l'occupation et les violences survenues entre 1945 et 1949. Autrement dit, l’Indonésie est indépendante “dans les cœurs” depuis 1945, mais “dans les textes” seulement depuis 1949.
Ce double langage est une stratégie politique : offrir une reconnaissance symbolique pour calmer les consciences, tout en maintenant une fiction juridique qui protège l’image et la responsabilité de l’ancien colonisateur.
L’Indonésie contrainte de payer pour sa propre répression
Le scandale ne s’arrête pas là. En 1949, lors de la Conférence de La Haye, les Pays-Bas ont imposé une condition indigne : l’Indonésie devait assumer la dette de l’ancienne colonie, y compris les coûts des opérations militaires néerlandaises entre 1935 et 1949.
Autrement dit : l’Indonésie a payé la facture des balles et des bombes qui avaient servi à tuer ses propres habitants. Quel État “indépendant” accepterait un tel marché ? C’est une injustice historique majeure, comparable au fardeau imposé à Haïti par la France après 1804.
La restitution des artefacts : un écran de fumée
Aujourd’hui, Amsterdam se montre généreuse : elle rend des statues, des manuscrits, des objets d’art. Geste bienvenu, certes. Mais soyons lucides : restituer des artefacts sans reconnaître la véritable indépendance de 1945, c’est comme offrir des bijoux volés tout en niant le cambriolage. C’est une diversion commode qui évite d’affronter le cœur du problème.
Ce que les Pays-Bas refusent d’admettre
- Que l’Indonésie est souveraine depuis 1945, et non 1949.
- Que la guerre coloniale de 1945-1949 fut une agression illégitime, non une “police”.
- Que faire payer la dette coloniale et les frais militaires au nouvel État fut une spoliation organisée.
- Que reconnaître seulement “moralement” 1945, sans l’inscrire juridiquement, n’est rien d’autre qu’une hypocrisie calculée.
La guérison passe par 1945, pas par les vitrines des musées
Les Indonésiens n’ont pas besoin d’artefacts “rendus” comme trophées d’amitié. Ils ont besoin que la puissance coloniale assume enfin son histoire. Cela implique de rétablir 1945 comme la seule et unique date de l’indépendance, d’admettre que 1949 fut une mascarade diplomatique destinée à sauver l’honneur néerlandais, et de reconnaître que l’Indonésie a été contrainte de financer son propre asservissement.
Sans cette reconnaissance, chaque geste symbolique — restitution d’objets, excuses partielles — restera une hypocrisie, un pansement posé sur une plaie que le colonisateur refuse de voir.