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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 27 juillet 2025

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Délinquance et armée : comparaison Royal – Mulyadi

À Poitou-Charentes comme à Java occidental, Ségolène Royal et Dedi Mulyadi ont envisagé le recours à l'encadrement militaire pour juguler la délinquance juvénile. Deux contextes, deux visions, mais une même illusion : celle de croire que la discipline armée pourrait combler les carences sociales profondes.

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Délinquance et armée : comparaison Royal – Mulyadi

En octobre 2010, lors d’un débat sur la montée de la délinquance urbaine en France, Ségolène Royal, alors présidente de la région Poitou-Charentes, fit une déclaration qui détonna : elle évoqua la possibilité de recourir à un encadrement militaire pour « restaurer l’ordre » dans certains quartiers où la police semblait dépassée. 

Cette proposition, certes nuancée, faisait écho à une frustration grandissante face à l’insécurité persistante dans les banlieues françaises. Elle suggérait que l’armée, avec sa rigueur et sa discipline, pouvait accompagner les forces de l’ordre pour rétablir un semblant de paix sociale.

Encadrement militaire et jeunesse à risque : une stratégie locale en Java occidental

À des milliers de kilomètres de là, dans la province de Java occidental, en Indonésie, Dedi Mulyadi, ancien bupati de Purwakarta, défendait une idée analogue mais ancrée dans une réalité différente. Face à la montée de la délinquance juvénile et aux tensions sociales, il proposait d’instaurer un encadrement militaire – ou du moins paramilitaire – pour canaliser la jeunesse à risque. 

Pour lui, l’armée n’était pas seulement un outil de coercition, mais aussi une institution capable d’inculquer discipline, valeurs et esprit de responsabilité. Il voyait dans cette « éducation par la rigueur » une manière d’éviter la dégradation sociale et d’offrir aux jeunes une voie structurée vers la réinsertion.

À première vue, ces deux propositions semblent converger vers un même principe : face à l’incapacité apparente des institutions civiles à contenir la délinquance, le recours à la discipline militaire apparaît comme un remède efficace. Pourtant, le poids des contextes culturels et politiques dessine deux trajectoires très distinctes.

Militarisation de la sécurité : un tabou républicain français

En France, la proposition de Ségolène Royal suscita une levée de boucliers. Le souvenir des heures sombres du militarisme et le respect profond des valeurs républicaines, fondées sur la séparation des pouvoirs et les droits individuels, firent percevoir cette idée comme un danger potentiel. L’armée n’est pas formée pour gérer la complexité du maintien de l’ordre civil et risquerait, selon ses détracteurs, de transformer des quartiers en zones de guerre intérieure, alimentant le cycle de méfiance et de stigmatisation.

Autorité militaire et contrôle social postcolonial

À Java occidental, le modèle prôné par Dedi Mulyadi s’inscrit dans une tradition où l’autorité militaire a toujours eu une place centrale dans la société. Cette réalité postcoloniale, marquée par une forte présence des forces armées dans la gouvernance locale, rend l’idée moins choquante. L’encadrement militaire y est envisagé moins comme une répression brutale que comme une forme d’encadrement paternaliste, mêlant discipline et pédagogie. Mais cette approche n’est pas sans risques : elle peut aussi verrouiller les marges de manœuvre des individus et renforcer un modèle autoritaire qui néglige les causes profondes de la délinquance.

L’illusion d’une sécurité par la force face aux causes profondes du mal social

Au bout du compte, que ce soit à Poitou-Charentes ou à Java occidental, la tentation du recours à la force militaire face à la délinquance révèle un malaise commun : la difficulté des sociétés modernes à trouver un équilibre entre ordre, sécurité et liberté. Une solution durable exige, au-delà de la simple présence des forces armées, une politique globale qui s’attaque aux racines sociales, économiques et éducatives du phénomène. Sans cela, l’encadrement militaire, qu’il soit français ou indonésien, risque de n’être qu’un pansement sur une plaie profonde.

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