La transition difficile de l’Indonésie du féodalisme colonial à l’État-nation
L’Indonésie, anciennement colonie néerlandaise, a proclamé son indépendance en 1945 après plus de trois siècles de domination européenne. Cette indépendance marque le début d’une transition complexe d’un système politique et social fondé sur le féodalisme colonial vers un État-nation moderne.
Héritage du féodalisme colonial
Pendant la période coloniale, le pouvoir était largement concentré entre les mains des élites traditionnelles locales, notamment les sultans, les princes et d’autres chefs régionaux, qui collaboraient avec les autorités coloniales. Ce système féodal s’appuyait sur des relations hiérarchiques strictes, dans lesquelles ces élites locales exerçaient un contrôle important sur la population, agissant souvent comme intermédiaires au service du pouvoir colonial.
Le contrôle social et politique était largement personnalisé, avec une forte valorisation des chefs locaux, qui étaient perçus comme des figures d’autorité incontestées. Cette structure a profondément marqué les mentalités et les modes de gouvernance, même après l’indépendance.
Construction de l’État-nation
Après 1945, l’Indonésie a engagé un processus de construction d’un État-nation unifié, fondé sur les principes républicains et démocratiques. Ce processus a inclus la mise en place d’institutions centrales, telles qu’un gouvernement national, une armée nationale et un système judiciaire indépendant.
Malgré ces efforts, la transition vers un État moderne a été freinée par la persistance des pratiques et mentalités héritées du féodalisme. La centralisation du pouvoir s’est souvent traduite par une concentration des décisions entre les mains d’hommes forts — des leaders politiques charismatiques ou autoritaires — qui exerçaient une influence directe sur la population.
La place des hommes forts dans la politique indonésienne
Des figures politiques comme Soekarno, premier président de la République, puis Suharto, qui a dirigé le pays de 1967 à 1998, ont incarné ce modèle d’« homme fort ». Leur pouvoir personnel était souvent supérieur à celui des institutions qu’ils dirigeaient, et ils bénéficiaient d’un large soutien populaire, malgré des pratiques autoritaires.
Cette concentration du pouvoir a renforcé l’idée que les dirigeants sont des figures au-dessus des lois, dont l’autorité ne doit pas être remise en question. Ce modèle s’appuie sur une longue tradition de respect et d’obéissance aux chefs, qui remonte aux structures féodales.
Perception du gouvernement et des forces de l’ordre
Dans la société indonésienne, les institutions étatiques — y compris la police, l’armée et l’administration publique — sont fréquemment perçues non pas comme des serviteurs du peuple, mais comme des détenteurs d’un pouvoir supérieur, imposant l’ordre plutôt que répondant aux besoins des citoyens.
Cette perception est liée à des pratiques courantes telles que la corruption, le népotisme, ainsi que l’usage parfois autoritaire ou violent de la force par les forces de l’ordre. Elle alimente une distance importante entre la population et ses gouvernants.
Conséquences sociales
La coexistence de ces deux modèles — la volonté d’instaurer un État-nation démocratique et les habitudes féodales de pouvoir personnel — crée des tensions au sein de la société indonésienne. La population oscille entre le respect ou la crainte des leaders politiques et l’attente de plus de transparence et de participation démocratique.
Ces tensions se traduisent parfois par des conflits sociaux, des mouvements de contestation et une méfiance persistante envers les institutions gouvernementales.
Conclusion
La transition de l’Indonésie du féodalisme colonial vers l’État-nation est caractérisée par la coexistence de pratiques héritées du passé et d’institutions modernes. La valorisation des « hommes forts » et la perception autoritaire du gouvernement et des forces de l’ordre reflètent les difficultés à instaurer un véritable État démocratique fondé sur la séparation des pouvoirs et la souveraineté populaire.