Le but de la vie est-il de surmonter la vie ?
« L’homme est l’être qui doit toujours se vaincre lui-même », écrivait Nietzsche. Mais que veut dire « surmonter la vie » ? Vivre n’est-il pas déjà assez difficile ? Pourquoi faudrait-il, en plus, la dépasser, la vaincre, l’affronter ? À moins que ce soit précisément là que réside sa vérité. La vie, comme donnée brute, ne suffit pas. Trop d’absurdité, trop de douleur, trop d’errance. Il faut alors faire autre chose de cette vie : l’habiter autrement. La surmonter, peut-être. Mais comment ? Et pourquoi ?
Souffrir, exister, puis quoi ?
On naît. On pleure. On apprend la perte, la peur, l’injustice, la frustration. Tout commence dans la vulnérabilité. Et pourtant, on avance. Bouddha disait : la vie est souffrance. Mais il ne s’arrêtait pas là. Il proposait une voie, un chemin vers l’apaisement. Par le détachement, par la lucidité, il voulait montrer que ce n’est pas la vie elle-même qu’il faut abolir, mais l’illusion que l’on s’en fait. Faut-il donc s’éloigner du désir, cesser d’espérer, pour ne plus être blessé ?
Et Jésus, lui, n’a-t-il pas fait de la souffrance un passage, un lieu de révélation ? Il n’a pas fui la croix : il l’a portée. Il a dit que l’on peut aimer jusqu’au bout, même quand le monde rejette, même quand tout semble perdu. Est-ce cela, surmonter la vie ? La vivre comme offrande ? Comme amour malgré tout ? Mais qui a encore cette force ? Et faut-il vraiment se laisser crucifier pour mériter l’existence ?
Camus, lui, refusait les consolations faciles. Pas de Dieu pour justifier l’absurde. Pas de paradis promis. Seulement ce monde-ci, ce silence. Et pourtant, il disait qu’il fallait imaginer Sisyphe heureux. Heureux dans l’échec, heureux dans l’effort inutile. Est-ce une folie ? Ou une forme supérieure de lucidité ?
Se tenir debout dans l’épreuve
Épictète, esclave stoïcien, nous rappelle une chose simple : tu ne maîtrises pas ce qui t’arrive, mais tu peux maîtriser comment tu y réagis. Tu peux, même enchaîné, rester libre. Mais qui y croit encore, à cette vieille vertu romaine ? À cette maîtrise de soi face aux tempêtes ? Aujourd’hui, tout vacille. On a peur de perdre, peur de souffrir, peur de manquer. Alors on s’agite, on consomme, on fuit. Mais on ne surmonte rien. On colmate. On nie.
Surmonter la vie, ce serait peut-être ne plus avoir peur de tomber. Ne plus chercher à éviter la douleur, mais y trouver un levier. Non pas pour se résigner, mais pour s’élever. Mais s’élever vers quoi ? Vers une idée du bien ? Vers Dieu ? Vers soi-même ? Vers rien ? Là est la question. Car si la vie est vide, alors la surmonter, c’est encore l’habiter pleinement, comme Camus le disait, avec lucidité. Mais si la vie a un sens, alors la surmonter, c’est peut-être s’y abandonner. Comme Jésus. Comme Bouddha.
La révolte ou l’abandon ?
Faut-il lutter contre la vie, ou l’embrasser ? Faut-il se révolter, comme Camus, ou se soumettre, comme Job ? Faut-il transcender l’existence par l’extase, par la prière, par la sagesse ? Ou simplement la traverser en silence, sans plainte ni attente ? Il n’y a pas de réponse unique. Il n’y a que cette tension intérieure, cette question lancinante : que vais-je faire de ma vie ?
Peut-être que le but n’est pas de réussir sa vie, ni même de la comprendre, mais simplement de ne pas la trahir. De ne pas vivre à moitié. Surmonter la vie, ce n’est pas la nier. C’est refuser qu’elle nous écrase. Refuser de devenir indifférent. Refuser de céder à l’amertume. C’est rester vivant, même dans le chaos. Peut-être est-ce cela, le courage véritable : continuer, sans illusion, sans promesse, mais avec dignité.
Alors, est-ce cela le but de la vie ? Non pas la paix, ni le bonheur, ni la réussite — mais l’effort de la dépasser, de s’y tenir, de la transformer ? Peut-être. Ou peut-être pas. Mais au fond, le seul scandale serait de ne pas se poser la question.