Les Tengkulak en Indonésie : entre tradition et dépendance
Dans les campagnes indonésiennes, où s’étendent à perte de vue les plantations de café, de cacao ou de riz, les petits producteurs vivent souvent au rythme d’un système vieux de plusieurs siècles. Au cœur de ce système, il y a les tengkulak : ces intermédiaires incontournables qui achètent les récoltes des agriculteurs pour les revendre ensuite sur les marchés urbains ou à l’export.
Un lien incontournable entre paysans et marchés
Les tengkulak ne sont pas seulement des négociants. Ils prêtent de l’argent, fournissent des semences, organisent le transport des produits. Leur présence est devenue une sorte de lien obligé entre la terre cultivée par le paysan et le marché national ou international. Mais ce lien est souvent lourd de conséquences.
Les paysans, souvent isolés et sans accès direct aux marchés, se retrouvent enfermés dans une relation de dépendance vis-à-vis des tengkulak. Ces derniers fixent les prix, généralement à la baisse, ce qui réduit considérablement les revenus des agriculteurs. En même temps, ils fournissent les crédits indispensables au cycle de production, parfois à des taux élevés, renforçant encore cette relation d’emprise.
Un système ancré dans l’héritage colonial
Ce système a des racines profondes. Il s’inscrit dans la continuité d’un passé colonial, où les pouvoirs coloniaux néerlandais s’appuyaient sur des intermédiaires locaux pour contrôler et exploiter la production agricole. Cette organisation économique a survécu à l’indépendance, et la figure du tengkulak reste un acteur central dans la vie rurale.
Parallèlement, depuis des décennies, l’Indonésie a développé un vaste réseau de coopératives agricoles. Ces organisations visent à regrouper les producteurs pour qu’ils puissent mieux négocier, s’entraider et accéder à des ressources collectives. Pourtant, malgré leur nombre et leur étendue, ces coopératives peinent souvent à fonctionner efficacement.
Les limites des coopératives face aux tengkulak
Manque de gestion professionnelle, défi de la confiance, difficultés d’accès aux infrastructures et aux financements font que les coopératives ne parviennent pas à remplacer le rôle des tengkulak dans de nombreuses régions. Pour beaucoup de paysans, le système traditionnel, avec ses liens directs et personnels aux tengkulak, reste plus simple et plus sûr, malgré ses limites.
Ainsi, dans les campagnes indonésiennes, le paysage économique rural est marqué par cette dualité entre un système traditionnel de dépendance aux tengkulak, et un modèle coopératif encore fragile, souvent incapable de briser les chaînes d’un héritage colonial et d’une réalité sociale complexe.