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Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 28 septembre 2025

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Bizutage : une mémoire coloniale indonésienne

En Indonésie, le bizutage reste ancré dans la vie scolaire et universitaire, malgré les interdictions officielles. Héritage des structures autoritaires de l’école coloniale, il perpétue humiliation et violence, reproduisant un cycle où chaque génération transmet à la suivante la culture de la soumission.

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Bizutage : une mémoire coloniale indonésienne

En Indonésie, le bizutage semble indestructible. Chaque rentrée scolaire ou universitaire charrie son lot d’« activités d’intégration » qui finissent en humiliations publiques, en brimades, parfois en violences graves. Les autorités éducatives l’interdisent, les règlements se succèdent, mais la pratique ressurgit sans cesse, comme un spectre dont on n’arrive jamais à se débarrasser. La répétition obstinée de ces scènes révèle quelque chose de plus profond qu’un simple excès estudiantin : un héritage colonial incrusté dans la culture éducative du pays.

L’école des Indes néerlandaises n’avait pas pour vocation d’émanciper, mais de former une élite docile et fidèle au pouvoir colonial. La discipline y régnait, rigide, verticale, imposée à coups de punitions et d’humiliations. Après l’indépendance, ce modèle n’a pas disparu ; il s’est fondu dans la construction de l’État-nation. Les institutions scolaires et universitaires sont devenues les lieux de transmission d’un imaginaire autoritaire, valorisant l’obéissance, la soumission aux aînés, la croyance que la souffrance forge le caractère. Le bizutage en est la caricature contemporaine.

Le mécanisme est implacable : une génération subit, puis reproduit. Les humiliés d’hier deviennent les bourreaux d’aujourd’hui, justifiant leurs gestes au nom de la tradition et du rite de passage. Ce cycle sans fin est entretenu par l’inertie des institutions, souvent complices par silence ou par faiblesse. Les associations étudiantes trouvent des échappatoires pour maintenir les rites, parfois hors du contrôle administratif, tandis que les directions d’université préfèrent détourner le regard. La violence se perpétue sous couvert de cohésion et de discipline.

On vante encore les vertus supposées de ces pratiques : endurcir les jeunes, les préparer à la rudesse de la vie, cultiver l’esprit d’équipe. Mais ces justifications ne sont que la rhétorique d’un ordre ancien, celui qui considère la douleur et l’humiliation comme des outils pédagogiques. Les conséquences sont bien réelles : traumatismes psychologiques, perte de confiance en soi, reproduction d’inégalités sociales et banalisation de la violence. L’école, censée être un lieu d’émancipation, se transforme en théâtre de domination.

Ce qui persiste à travers le bizutage, c’est la trace d’un rapport colonial au savoir et à l’autorité. L’humiliation comme pédagogie, la hiérarchie comme horizon indépassable, la discipline imposée comme condition de l’appartenance : tout cela prolonge une culture de la soumission héritée du passé. Le colonialisme ne survit pas seulement dans les manuels d’histoire, mais dans ces gestes ordinaires, répétés année après année, qui façonnent les corps et les esprits.

Rompre avec ce cycle n’est pas impossible. D’autres formes de rites existent : mentorat, projets collectifs, créations artistiques, tout ce qui peut donner aux étudiants le sentiment d’appartenance sans passer par l’humiliation. Mais pour cela, il faudrait un sursaut des institutions, une volonté de tolérance zéro, et surtout une réinvention culturelle : accepter que la force et la dignité se construisent dans la solidarité et la créativité, non dans la souffrance imposée. Tant que ce pas ne sera pas franchi, le bizutage restera comme une cicatrice coloniale que l’Indonésie n’aura pas refermée.

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