Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 28 septembre 2025

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Quand la piété monte, la justice descend

Plus un individu affiche sa piété, plus il semble parfois se désintéresser de la justice. Entre moral licensing, loyauté endogroupe et autoritarisme sacré, la religiosité ostentatoire devient un paravent doré : on prie, on donne, et surtout, on ferme les yeux sur l’injustice qui dérange.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand la piété monte, la justice descend : chronique d’une hypocrisie bien huilée

Rien n’est plus fascinant que de voir une personne multiplier prières, pèlerinages, sourates et statues — pour aussitôt fermer les yeux devant une injustice criante.

Le paradoxe des « saints indifférents »

Plus le front est marqué par la prosternation ou la croix exhibée sur le torse, moins on dirait qu’il reste de place pour ce petit mot poussiéreux qu’on appelle « équité ». Étrange ? Pas vraiment. La psychologie sociale a déjà disséqué ce phénomène : la religion, si elle nourrit sincèrement certains, sert aussi à couvrir d’un vernis sacré une indifférence pratique au sort d’autrui.

Licence morale : je prie, donc je peux ignorer

Les chercheurs parlent de moral licensing. En clair : après une bonne action (ou une belle apparence de vertu), on s’autorise un petit relâchement moral. Vous avez fait l’aumône devant témoin ? Parfait, vous avez gagné le droit de maltraiter vos employés sans scrupule. Vous priez cinq fois par jour, publiquement ? Très bien, ça compense largement vos pots-de-vin à huis clos.

Cette mécanique psychologique est vieille comme le monde : l’orgueil d’être « du bon côté » devient un laissez-passer pour les injustices quotidiennes. On s’achète des crédits moraux comme des points de fidélité.

Les fondations morales : pureté d’abord, justice ensuite (ou jamais)

Autre trouvaille des chercheurs : tout le monde ne hiérarchise pas ses valeurs morales de la même façon. Les pieux fervents placent volontiers la pureté, la loyauté et l’obéissance en haut de l’échelle. L’équité et la compassion universelle ? Bien plus bas.

Résultat : un croyant modèle peut être outré par une jupe trop courte mais parfaitement indifférent à la corruption qui prive des millions d’enfants de nourriture. Le souci de la pureté du corps devient plus important que la pureté du système judiciaire.

Religiosité : fin en soi ou outil social ?

Certains vivent leur foi comme un engagement intime et cohérent. Mais beaucoup d’autres en font un badge social, une carte d’identité spirituelle. Dans ce cas, la religion n’est pas la fin : c’est un instrument. Statut, réseau, sécurité politique, justification d’intérêts bien terrestres.

Et dans ce petit théâtre, la justice n’est qu’un décor inutile. L’essentiel est de paraître pieux — qu’importe si le voisin crève de faim tant qu’on a bien été vu à la mosquée ou à l’église dimanche.

Le favoritisme sacré : à bas l’universel

La religion soude le groupe. Parfait pour renforcer l’entre-soi… mais désastreux pour l’idée de justice universelle. Le fidèle ultradévot aime son prochain, oui — mais seulement si ce prochain appartient à la bonne paroisse ou à la bonne confession. Les autres ? Ils n’ont qu’à s’en remettre à leur propre dieu.

On appelle ça le biais endogroupe. La justice universelle se dissout dans la loyauté tribale. Et plus la piété est visible, plus le tribalisme est assumé.

Autorité, obéissance et confort dans l’injustice

Ajoutons une pincée d’autoritarisme. Les religieux zélés aiment l’ordre, les hiérarchies, les figures d’autorité. Et que fait l’injustice sinon maintenir de belles hiérarchies solides ? Si les puissants restent puissants et les pauvres restent pauvres, c’est peut-être parce que « Dieu l’a voulu ». Ce genre de croyance anesthésie toute velléité de réforme sociale.

La vertu ostentatoire comme camouflage

En somme : plus la religion est brandie comme drapeau, plus il y a de chances qu’elle serve à couvrir des injustices plutôt qu’à les combattre. Non pas que la foi rende cruel — mais parce qu’elle offre une excuse dorée pour s’en laver les mains.

La justice exige de la cohérence, de l’effort, parfois du sacrifice. La piété visible, elle, n’exige qu’un rituel et quelques gestes symboliques. Devinez laquelle des deux séduit davantage les foules avides de confort moral.

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