Indonésie : le vice-président Gibran contesté — vers la fin de la dynastie Jokowi ?
Jakarta, juillet 2025 — Depuis plusieurs semaines, une lettre circule dans les couloirs feutrés du Parlement indonésien. Elle émane d’un groupe respecté de généraux à la retraite, réunis au sein du Forum Purnawirawan Prajurit TNI.
Leur message est direct mais posé : ils appellent les institutions à reconsidérer la position du vice-président Gibran Rakabuming Raka, qu’ils jugent peu légitime, à la lumière d’un contexte politique et juridique jugé préoccupant.
Ce n’est pas une déclaration de guerre, mais plutôt une alerte. Une tentative de rappeler que la République repose sur des principes, pas sur des privilèges.
Une ascension rapide, un passé qui interroge
Fils de l’ancien président Joko Widodo, Gibran n’a mis que quelques années à passer de maire de Surakarta à vice-président de la République. Cette montée en puissance a été rendue possible par une décision de la Cour constitutionnelle qui a modifié, à un moment crucial, les règles d’âge pour les candidats à la présidence et à la vice-présidence. Une décision signée, fait notable, par Anwar Usman, oncle de Gibran et alors président de la Cour.
Ce lien familial a nourri les soupçons d’un conflit d’intérêts. Et même si l’élection de Gibran aux côtés de Prabowo Subianto a été validée par la Commission électorale, une partie de la société civile et d’anciens militaires considèrent que ce processus a fragilisé la légitimité du jeune vice-président.
Une demande de destitution symbolique
La lettre des généraux retraités adressée au DPR (Dewan Perwakilan Rakyat – Chambre des représentants) et au MPR (Majelis Permusyawaratan Rakyat – Assemblée délibérative du peuple) ne déclenche pas de procédure immédiate car la majorité parlementaire (MOR) reste alignée avec la coalition au pouvoir, qui soutient Gibran et Prabowo. Sans l’appui politique de cette majorité, aucune procédure d’impeachment ne peut avancer.
Mais cette lettre porte un poids moral : elle marque un tournant dans la perception d’un pouvoir que certains jugent de plus en plus marqué par la continuité familiale.
Les signataires y dénoncent notamment une violation de l’éthique publique, un contournement de la Constitution, et un usage excessif des institutions au bénéfice d’un cercle restreint. Ils évoquent aussi une série de polémiques numériques — dont l’affaire du compte anonyme "fufufafa", attribué par certains à Gibran — qui auraient terni la réputation de la fonction.
Des institutions prudentes, un public indifférent
Pour l’heure, ni le Parlement ni l’Assemblée ne semblent enclins à aller plus loin. Les présidents des deux chambres appellent au respect du mandat populaire et à la stabilité politique. De son côté, le gouvernement garde le silence, préférant ne pas attiser les tensions.
Dans l’opinion publique, l’écho reste modéré. Une récente analyse des tendances numériques montre que le sujet de la destitution de Gibran mobilise peu : moins de 2 % des internautes en font un sujet de discussion régulier. Pour beaucoup d’Indonésiens, les préoccupations quotidiennes — emploi, pouvoir d’achat, sécurité — l’emportent sur les enjeux institutionnels.
Un vice-président discret, une présidence dominante
Depuis son entrée en fonction, Gibran s’exprime peu. Il reste en retrait, tandis que Prabowo Subianto occupe la scène avec autorité. Cette répartition des rôles — un président actif, un vice-président effacé — alimente l’idée d’un déséquilibre interne, où Gibran n’aurait qu’un rôle symbolique.
Certains évoquent même l’hypothèse d’un placement de son bureau en Papouasie — geste perçu par plusieurs analystes comme une mise à l’écart déguisée, loin du centre du pouvoir à Jakarta.
Sa relative absence du débat public renforce la perception d’un homme placé là non pour gouverner, mais pour maintenir une continuité familiale dans les sphères du pouvoir.
Une dynamique dynastique remise en question ?
L’affaire Gibran révèle surtout un malaise plus profond : celui de la transition post-Jokowi. Pendant une décennie, l’ancien président a incarné une forme de leadership populaire et pragmatique. Mais avec la montée de ses fils — Gibran au vice-pouvoir national, Kaesang à la tête d’un parti — l’image d’un héritage politique orchestré commence à déranger.
Le message envoyé par les généraux retraités n’est pas une révolte contre Gibran seul, mais un signal adressé à tout un système. Celui d’un pouvoir qui, selon eux, s’éloigne de l’esprit républicain.
Et maintenant ?
La probabilité d’un départ anticipé de Gibran reste, à ce stade, faible. Aucun mécanisme n’est activé, et le gouvernement paraît solidement soutenu au Parlement. Mais l’épisode aura marqué les esprits. Il montre qu’au-delà de l’apparente stabilité institutionnelle, des tensions traversent la classe dirigeante et les fondations mêmes du contrat politique indonésien.
Ce que Gibran traverse aujourd’hui n’est peut-être pas une chute, mais un avertissement. Et pour la dynastie Jokowi, c’est un premier test sérieux. Rien n’indique qu’elle s’effondre demain. Mais une chose est sûre : elle n’est plus à l’abri des critiques.