La roupie au plus bas : l’Indonésie, nouvel eldorado des voyageurs ?
Un parfum de crise… et d’opportunité
Bali, août 2025. Sur la plage de Seminyak, des touristes australiens dégustent leur café et remarquent que leur billet de 100 dollars australiens leur permet désormais de couvrir davantage de dépenses : quelques nuits d’hôtel, des repas et même une petite excursion vers les rizières de Jatiluwih. La baisse récente de la roupie indonésienne a renforcé le pouvoir d’achat des visiteurs étrangers, modifiant en douceur le quotidien touristique de l’île.
Derrière les sourires des commerçants et les prix alléchants pour les visiteurs, c’est pourtant une histoire plus complexe qui se dessine, faite d’instabilité économique, de désarroi social, mais aussi de paradoxales opportunités pour le secteur du voyage.
Quand le dollar devient roi
La roupie a plongé au-delà de 16 800 IDR pour un dollar, une dépréciation qui fait grimper le pouvoir d’achat des visiteurs étrangers. Les Européens, les Américains et surtout les Australiens — voisins historiques et grands pourvoyeurs de touristes — voient leur monnaie prendre une dimension presque « royale » dans l’archipel.
« C’est le moment où jamais de venir en Indonésie, surtout pour ceux qui rêvaient de voyager longtemps sans exploser leur budget », confie Thomas, un routard français croisé à Yogyakarta. « Avec 1 000 euros, je peux vivre ici deux mois, manger correctement et me déplacer d’une île à l’autre. En Europe, ça ne couvrirait même pas un loyer mensuel. »
Les hôtels se remplissent, les Indonésiens se serrent la ceinture
Dans les rues de Jakarta comme sur les plages de Lombok, la dévaluation a un double effet. Les grands complexes hôteliers et les destinations phares voient leurs taux d’occupation repartir à la hausse. Mais pour les habitants, la vie devient plus chère : le litre d’essence, les médicaments importés, les téléphones et même certains produits alimentaires flambent.
Pour les Indonésiens, l’argent s’évapore plus vite, et ce sont souvent les classes moyennes urbaines qui paient le prix fort. « Nous voyons nos marges disparaître à cause des importations qui coûtent plus cher. Mais si les touristes reviennent en masse, cela peut au moins sauver nos emplois », explique Dewi, gérante d’une petite agence de plongée à Labuan Bajo.
Entre crise et séduction internationale
Le gouvernement, de son côté, tente de rassurer les marchés financiers en intervenant pour soutenir la roupie, mais il ne cache pas que le tourisme peut être l’un des amortisseurs de la crise. Avant la pandémie, l’Indonésie comptait parmi les vingt-cinq destinations touristiques les plus visitées au monde et mise aujourd’hui sur un taux de change avantageux pour attirer davantage de visiteurs.
Les compagnies aériennes en profitent, les agences de voyage multiplient les promotions. Bali, déjà saturée, voit apparaître une vague de touristes « budget-friendly », tandis que Sumatra, Sulawesi ou les Moluques espèrent tirer leur épingle du jeu en attirant un public plus aventureux.
Une opportunité fragile
Mais ce tableau n’est pas exempt de zones d’ombre. Le boom touristique alimenté par la chute de la monnaie pourrait n’être qu’un feu de paille. Si la crise économique s’aggrave — chômage, inflation, manifestations sociales —, l’instabilité pourrait rebuter les voyageurs les plus prudents.
Les économistes rappellent aussi que le tourisme, bien qu’utile à court terme, ne saurait compenser la fragilité structurelle de l’économie indonésienne : dépendance aux matières premières, déficit courant, et réformes budgétaires incertaines.
Voyager, oui… mais en conscience
Pour le voyageur, la tentation est grande de voir l’Indonésie comme un immense terrain de jeu à prix réduit. Mais derrière la façade d’un séjour à bas coût, il y a des vies bouleversées.
Un voyage responsable implique de prendre conscience de cette réalité : privilégier les commerces locaux plutôt que les chaînes internationales, rémunérer équitablement les guides et artisans, et éviter de considérer la dévaluation comme une simple « bonne affaire ».
« Si les visiteurs profitent de la faiblesse de la roupie, qu’ils en fassent bénéficier les communautés locales », plaide un chercheur de l’université de Gadjah Mada. « Le tourisme peut devenir un outil de solidarité, à condition d’être conscient. »
Conclusion : un eldorado fragile
Oui, la chute de la roupie crée une situation paradoxale : plus difficile pour les Indonésiens, plus abordable pour les étrangers. Pour le voyageur, c’est une occasion unique de découvrir l’archipel à moindre coût. Mais cette fenêtre idéale s’inscrit dans une réalité économique et sociale fragile.
L’Indonésie est à la croisée des chemins : si la crise s’approfondit, les touristes devront composer avec une société traversée de tensions. S’ils voyagent avec respect et conscience, ils pourront contribuer à transformer cette crise monétaire en opportunité partagée.