Indonésie : quand le fanatisme évangélique soutient Israël
En Indonésie, pays à majorité musulmane et soutien officiel de la cause palestinienne, une minorité évangélique manifeste un attachement profond à Israël, fondé sur une lecture littérale de la Bible et une foi inébranlable.
Pour ces évangéliques, Israël est perçu comme le peuple élu de Dieu, et soutenir l’État hébreu s’apparente à une obéissance divine ainsi qu’à un engagement spirituel profond. Cette conviction anime une communauté évangélique en pleine expansion depuis les années 1990.
Les dynamiques du fanatisme évangélique : au-delà des apparences
Ce phénomène, qui dépasse largement le cadre d’une seule confession, reflète un mécanisme universel par lequel la foi peut se transformer en un militantisme rigide, mettant en péril la coexistence pacifique dans des sociétés pluralistes.
Comme tout fanatisme religieux, il repose sur une vision simpliste et manichéenne du monde, accompagnée d’une adhésion inébranlable à une vérité exclusive. Dans ce contexte, le soutien à Israël devient un impératif religieux absolu, déconnecté des réalités politiques propres au contexte local.
Complexe d’infériorité postcolonial et affirmation identitaire
Cette dynamique peut également se lire comme une forme de revanche symbolique face à un passé marqué par le colonialisme et les discriminations internes, où l’alliance avec Israël devient un moyen de revendiquer reconnaissance et légitimité.
En Indonésie, certains groupes évangéliques issus de minorités chrétiennes, notamment d’origine chinoise, ont longtemps souffert de marginalisation. Une expression populaire et péjorative, “Yahudi sipit” (littéralement “Juif chétif” ou “Juif asiatique”), était utilisée pour désigner ces Indonésiens d’ascendance chinoise perçus comme étrangers à la nation.
En se réappropriant cette étiquette à travers une identification active à Israël — figure de résilience, de bénédiction biblique et de puissance militaire — certains fidèles voient dans ce soutien une manière d’inverser l’humiliation historique, de revendiquer une filiation spirituelle valorisante et de s’affirmer dans un paysage religieux et national souvent hostile.
Israël comme miroir identitaire des minorités chrétiennes
L’adhésion évangélique pro-israélienne devient ainsi une arme symbolique de réhabilitation identitaire et de contestation silencieuse de l’ordre majoritaire. Ce phénomène ne se limite pas aux communautés sino-chrétiennes ; il touche également certains groupes chrétiens autochtones, notamment en Papouasie et dans le pays Minahasa (Nord Sulawesi), où l’identification à Israël revêt une charge théologico-politique particulière.
En Papouasie, Israël est parfois perçu comme un peuple élu persécuté mais soutenu par Dieu — un miroir dans lequel se reconnaissent certains fidèles qui subissent marginalisation, militarisation et dépossession territoriale. Pour eux, afficher leur solidarité avec Israël est une manière de revendiquer leur propre élection spirituelle, mais aussi de contester symboliquement l’État indonésien perçu comme colonisateur.
Chez les Minahasa, peuple chrétien marqué par une longue tradition de distinction culturelle vis-à-vis du centre javanais-musulman, le soutien à Israël se conjugue avec un désir de reconnaissance internationale et un alignement sur des valeurs religieuses perçues comme universelles. Ainsi, dans ces contextes, le sionisme évangélique se teinte de revendications identitaires, de mémoires blessées, et d’un désir de renverser symboliquement la domination structurelle imposée par le pouvoir central.
Influence et enjeux internationaux
Le fanatisme évangélique en Indonésie se trouve en partie alimenté par des financements venus de l’étranger — notamment des États-Unis — qui apportent aux réseaux pro-israéliens un appui matériel, logistique et idéologique.
Parmi ces réseaux, des organisations comme Christians United for Israel (CUFI), International Christian Embassy Jerusalem (ICEJ) ou encore Eagles’ Wings jouent un rôle clé en diffusant une théologie dispensationaliste favorable à Israël, en finançant des formations, des voyages et des campagnes de prière. Ces groupes, très influents dans le milieu évangélique mondial, contribuent à structurer et à renforcer les liens entre certaines Églises indonésiennes et le sionisme chrétien.
Quand Israël valorise l’appui évangélique : enjeux et implications
Israël, de son côté, accueille ce soutien avec un intérêt stratégique. Déjà, en 2017, lors de la conférence annuelle du CUFI à Washington, le Premier ministre Benjamin Netanyahu déclarait :
« Les chrétiens évangéliques sont des alliés essentiels et privilégiés d’Israël, leur soutien est un pilier fondamental de notre présence et de notre sécurité. »
Cette déclaration témoigne de l’importance accordée à cet appui dans la stratégie diplomatique israélienne. Mais elle met aussi en lumière les ambiguïtés de cette alliance : si elle renforce la position d’Israël sur la scène internationale, elle peut également alimenter des dynamiques de radicalisation dans les sociétés où ces groupes religieux sont implantés, au détriment de la cohésion sociale et du pluralisme.
Vers une vigilance partagée
Le fanatisme religieux, quelle qu’en soit l’origine, représente un défi transversal en Indonésie, susceptible d’éroder la cohésion sociale et de raviver des clivages identitaires latents. Dans un pays caractérisé par une mosaïque de cultures et de confessions, ces dynamiques peuvent engendrer des tensions durables, affectant la stabilité politique et la paix sociale.
Face à cette réalité, le renforcement du dialogue interreligieux, fondé sur l’écoute et la reconnaissance mutuelle, apparaît comme un levier essentiel. De même, encourager une éducation ouverte, sensible à la diversité et capable de questionner les récits exclusivistes, constitue un pas important vers une société plus résiliente face aux logiques de polarisation.
Enfin, la participation active de l’ensemble des acteurs sociaux — au-delà des appartenances religieuses ou culturelles — reste une condition clé pour contenir les dérives radicales et maintenir les conditions d’une coexistence durable dans cet archipel marqué par la pluralité.