Indonésie : trop de politiciens, pas d’hommes d’État
Portrait d’une classe politique en déroute devant l’urgence d’un véritable leadership moral
Dans un pays aussi vaste et complexe que l’Indonésie, la démocratie aurait dû être l’arène où s’épanouissent les talents politiques capables de porter la nation vers un avenir stable et prospère.
Pourtant, ce que l’on observe aujourd’hui, c’est un spectacle navrant : une surabondance de politiciens — souvent sans scrupules ni vision — et une pénurie criante de vrais leaders d’État.
Quand le manque de vision fragilise la République
Cette crise de leadership n’est pas un simple dysfonctionnement, c’est une maladie systémique qui ronge les fondements mêmes de la République indonésienne.
La récente analyse publiée sur NU Online ne laisse aucun doute : « l’Indonésie traverse une crise de leadership, où les hommes d’État se font rares alors que les politiciens pullulent ». Cette phrase cinglante résume une réalité inquiétante. Dans les coulisses du pouvoir, les oligarques tirent les ficelles, transformant la démocratie en un théâtre d’ombres où les intérêts personnels priment sur le bien commun.
Les ambitions électoralistes court-termistes étouffent toute perspective d’avenir durable. Pendant ce temps, le peuple reste spectateur, souvent désemparé, de cette comédie politique où règnent corruption, clientélisme et querelles intestines.
Le poids de l’héritage autoritaire
L’héritage de l’ère autoritaire sous le régime de Suharto, qui a duré plus de trois décennies jusqu’en 1998, continue de peser lourdement sur la qualité du leadership politique en Indonésie. Sous ce régime, le pouvoir était concentré entre les mains d’une élite restreinte, où la loyauté et la conformité prenaient souvent le pas sur la compétence et la vision. Cette période a instauré une culture politique marquée par le clientélisme, la corruption systémique et la peur des dissidences, des traits qui persistent dans la classe politique contemporaine.
Malgré la transition vers la démocratie après la chute de Suharto, les structures de pouvoir et les réseaux d’influence issus de cette époque n’ont pas disparu, mais se sont souvent recyclés. De nombreux politiciens actuels sont issus de ces cercles, perpétuant un style de gouvernance centré sur des intérêts personnels et le maintien du statu quo plutôt que sur une ambition véritablement nationale. Cette continuité freine l’émergence de leaders capables d’incarner un véritable projet de société à long terme et d’apporter un souffle nouveau à la nation.
Ainsi, la démocratie indonésienne, encore fragile, est régulièrement confrontée à cette tension entre modernisation politique et héritage autoritaire, ce qui explique en partie la rareté d’hommes d’État visionnaires et la profusion de politiciens intéressés avant tout par leur carrière personnelle.
Quand la corruption et l’incompétence paralysent la démocratie
Dans ce qui est pourtant présentée comme la troisième démocratie mondiale, les multiples échecs politiques révèlent un cruel déficit de leadership authentique.
Des projets ambitieux comme le programme national de santé universelle JKN se heurtent à une gestion défaillante, privant encore des millions d’Indonésiens de soins essentiels. Depuis 2016, le système est plombé par de lourds déficits budgétaires — atteignant jusqu’à 32 000 milliards de roupies en 2019 — en grande partie causés par des retards de remboursement aux hôpitaux et des pratiques frauduleuses, telles que des facturations fictives ou la sélection de patients moins coûteux.
Sur le plan environnemental, l’échec est tout aussi criant : l’incapacité à juguler la déforestation systémique et les incendies récurrents — 175 400 ha perdus au niveau national en 2024, selon les données officielles — met en lumière non seulement un vide de volonté politique, mais aussi l’emprise corrosive de la corruption.
Parallèlement, les scandales récurrents de détournement de fonds révélés par la Commission anti-corruption (KPK) illustrent un système gangrené par le clientélisme et la défense d’intérêts personnels au détriment de l’intérêt général.
L'Indonesia Corruption Watch (ICW) estime que les pertes liées à des affaires de corruption sous l’administration de Joko Widodo s’élèveraient à environ 290 000 milliards de roupies entre 2014 et 2023. Rien qu’entre 2018 et 2023, les enquêtes du bureau du procureur ont révélé une perte colossale de 285 000 milliards de roupies — soit près de 17,6 milliards de dollars — dans une seule affaire de corruption impliquant la société publique PT Pertamina.
Ces constats démontrent qu’une surabondance de politiciens ne suffit pas à assurer une gouvernance efficace : faute de véritables hommes d’État, l’Indonésie s’enlise dans un immobilisme délétère et une défiance grandissante de ses citoyens.
Un phénomène universel ? La France en miroir
Si la situation en Indonésie semble dramatique, elle n’est en rien isolée. Prenons l’exemple de la France, pays souvent considéré comme un modèle de démocratie occidentale. Là aussi, le constat est sévère : la profusion de politiciens ne se traduit pas toujours par la présence d’hommes et femmes d’État dignes de ce nom.
Les scandales, les ambitions personnelles, et les luttes de pouvoir ponctuent le paysage politique français. Des figures marquantes, certes, existent, mais la défiance envers la classe politique est palpable, et la crise de confiance est profonde.
En France, la montée des extrêmes et la polarisation idéologique reflètent une frustration semblable à celle observée en Indonésie. À Paris comme à Jakarta, les leaders politiques sont souvent perçus comme plus soucieux de conserver leur pouvoir que de servir la nation.
Cette similitude illustre un défi démocratique global : comment recréer un espace politique où les valeurs d’intégrité, de vision et de service public reprennent le dessus ?
L’absence de vision : un poison pour la démocratie
En Indonésie, le manque de vision à long terme est dramatique. Les politiques s’embourbent dans des intérêts personnels et des luttes de pouvoir sans fin. La priorité n’est pas la construction d’un avenir commun mais la survie électorale immédiate. Le clientélisme et le favoritisme nourrissent un système oligarchique où les citoyens ordinaires sont marginalisés.
En France, malgré une structure politique plus stable, les dirigeants sont aussi critiqués pour leur court-termisme et leur déconnexion des réalités populaires. Les réformes nécessaires peinent à se réaliser, souvent freinées par des intérêts corporatistes ou des calculs électoralistes.
L’urgence d’un leadership moral
Face à ce constat, il devient évident que l’Indonésie — comme la France — a besoin d’un leadership moral capable de transcender les ambitions personnelles. Ce leader idéal serait guidé par un sens profond du devoir public, prêt à prendre des décisions difficiles dans l’intérêt du pays plutôt que dans celui de sa carrière politique.
Ce besoin est d’autant plus pressant en Indonésie, pays émergent au potentiel gigantesque, mais qui risque de rester prisonnier d’un système politique bloqué. La France, quant à elle, pourrait s’inspirer d’une démocratie plus participative et renouvelée pour sortir de ses crises répétées.
La quête d’un homme d’État
La crise du leadership en Indonésie n’est pas qu’un problème local. Elle symbolise un défi mondial auquel toutes les démocraties sont confrontées : comment cultiver des hommes et des femmes d’État quand la politique devient un jeu d’ego, d’intérêts privés et de luttes de pouvoir ?
Dans ce miroir franco-indonésien, la démocratie doit se réinventer en donnant naissance à des leaders à la hauteur des enjeux contemporains, capables d’inspirer confiance et de construire des nations inclusives, justes et prospères.
Sans cette révolution morale, le risque est grand que la politique continue de dériver, laissant les peuples à la merci de politiciens sans boussole, et les États à la merci de leurs propres divisions.