Dipa Arif

Collaborateur de Justice et Paix France, militant des droits humains, observateur indépendant et autodidacte passionné de la vie politique indonésienne.

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Billet de blog 30 août 2025

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Ingérence étrangère : l’alibi des élites indonésiennes

À chaque mobilisation populaire en Indonésie, les élites politiques brandissent l’épouvantail de “l’ingérence”. Le président Prabowo est même allé jusqu’à décrire ces manifestations comme relevant de la ‘trahison’ et du ‘terrorisme’. Cette rhétorique, héritée de l’ère autoritaire, sert à esquiver toute remise en cause et à détourner l’attention des véritables responsabilités internes.

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Ingérence étrangère : l’alibi des élites indonésiennes

Depuis plusieurs jours, plusieurs villes d’Indonésie connaissent des vagues de manifestations massives. Les images de rues enflammées, de slogans criés par des étudiants, des ouvriers ou des conducteurs de moto-taxi en colère, circulent abondamment. Comme à chaque fois qu’un mouvement social prend de l’ampleur, une partie de l’élite politique réagit avec un réflexe désormais prévisible : accuser de mystérieuses « forces étrangères » de manipuler la foule et d’attiser le chaos.

Un discours usé mais persistant

Le discours de « l’ingérence » n’est pas nouveau. Depuis la période autoritaire de Suharto jusqu’aux gouvernements plus récents, cette rhétorique sert d’outil pour détourner l’attention. Plutôt que d’écouter les doléances réelles — salaires stagnants, coût de la vie insupportable, corruption endémique, brutalités policières — on préfère pointer du doigt un ennemi invisible, extérieur à la nation. Ce mécanisme est simple : fabriquer un bouc émissaire afin d’éviter toute remise en cause du système lui-même.

Mais derrière ce discours nationaliste, une question s’impose : qui est réellement le « fauteur de troubles » ? Est-ce une puissance étrangère invisible, ou bien les inégalités criantes, la mauvaise gouvernance, et le mépris des classes dirigeantes pour la souffrance quotidienne de la population ?

Dans le contexte des récentes émeutes, il est tout à fait insensé d’évoquer une intervention étrangère. Est-il possible que des puissances étrangères aient poussé les parlementaires indonésiens à multiplier leurs privilèges et à danser en pleine séance de l’assemblée, provoquant ainsi la colère du peuple ? Est-il concevable que des forces extérieures aient payé des policiers indonésiens pour écraser un chauffeur de moto-taxi en ligne ? Bien sûr que non.

L’incapacité de l’élite à s’introspecter

Pourquoi les élites politiques indonésiennes s’attachent-elles à reprendre inlassablement ce discours ? Le président Prabowo, de son côté, est même allé jusqu’à assimiler certains manifestants à des actes de ‘trahison’ et de ‘terrorisme’.

La réponse tient à la nature même du pouvoir. Reconnaître que les mobilisations sont spontanées et légitimes reviendrait à admettre que les politiques économiques, sociales et sécuritaires ont échoué. C’est reconnaître leur propre responsabilité dans la crise. Or, l’élite préfère préserver son image, quitte à infantiliser la population en la présentant comme manipulée par des forces obscures.

Ainsi, le peuple est perçu comme une masse ignorante, incapable de penser par elle-même. Cette représentation est profondément méprisante : elle nie la capacité des citoyens à formuler leurs propres revendications et à agir collectivement pour défendre leurs droits.

Qui profite du chaos ?

La véritable question est donc : à qui profite la situation ?

  • Les élites politiques peuvent utiliser le désordre pour resserrer les rangs autour d’un discours sécuritaire et justifier davantage de répression.

  • Les forces de sécurité bénéficient de budgets accrus et d’un rôle renforcé chaque fois que l’ordre public est menacé.

  • Certains acteurs économiques, proches du pouvoir, profitent de la distraction générale pour faire passer des lois ou des contrats controversés loin du regard critique de la société.

En somme, ce sont rarement les manifestants qui tirent profit de la violence et de l’instabilité. Les citoyens ordinaires paient le prix fort : pertes matérielles, répression policière, et criminalisation de leurs luttes.

Une rhétorique qui étouffe la démocratie

En brandissant sans cesse l’épouvantail de l’ingérence étrangère, l’élite indonésienne empêche un débat démocratique réel. Elle bloque toute possibilité d’introspection nationale et prive la société d’un dialogue sincère sur ses propres problèmes. Ce faisant, elle renforce la méfiance du peuple, convaincu que ses dirigeants préfèrent protéger leurs privilèges plutôt que d’écouter la souffrance des rues.

Conclusion : Les manifestations actuelles révèlent non pas la main invisible de puissances étrangères, mais l’incapacité chronique de l’élite politique à répondre aux attentes populaires. Tant que les accusations d’« ingérence étrangère » resteront l’argument réflexe des dirigeants, la fracture entre gouvernants et gouvernés ne cessera de s’approfondir. La véritable menace pour l’Indonésie n’est pas venue de l’extérieur : elle est née de l’aveuglement volontaire de ses propres élites.

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