Indonésie : 200 millions de pauvres malgré une croissance fulgurante
Selon les toutes dernières données de la Banque mondiale, près de 200 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en Indonésie, soit environ 68,3 % de la population totale.
Ce chiffre impressionnant a récemment fait surface grâce à une révision des seuils de pauvreté internationaux, qui intègre désormais un seuil plus élevé, reflétant mieux le coût de la vie actuel. Pourtant, cette réalité contraste fortement avec l’image d’une Indonésie en plein essor, affichant une croissance économique régulière de plus de 5 % par an depuis plusieurs années.
Un paradoxe troublant
L’Indonésie est souvent saluée comme un modèle de réussite économique en Asie du Sud-Est. Son économie dynamique attire les investissements étrangers, ses grandes villes connaissent une urbanisation accélérée, et son gouvernement affiche régulièrement des chiffres de croissance du PIB à deux chiffres dans certains secteurs. Pourtant, derrière ces statistiques encourageantes, la pauvreté demeure un défi majeur, souvent masqué par les données nationales.
Les données officielles et leurs limites
La Badan Pusat Statistik (BPS), agence officielle indonésienne, indique un taux de pauvreté national bien plus faible, autour de 8,57 % en septembre 2024, soit environ 24 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté national. Ce seuil est défini par des critères locaux prenant en compte le coût de la vie et les conditions spécifiques du pays. Selon la ministre des Finances Sri Mulyani, ce chiffre reflète une tendance positive, indiquant que le niveau de vie des Indonésiens continue de s'améliorer, grâce à la stabilité économique et aux politiques sociales mises en œuvre par le gouvernement.
En revanche, la Banque mondiale a adopté un nouveau seuil international de pauvreté, fixé à 8,30 USD par jour (en parité de pouvoir d’achat 2021) pour les pays à revenu intermédiaire comme l’Indonésie, contre un seuil inférieur auparavant. Ce seuil plus élevé élargit considérablement la définition des personnes pauvres, expliquant ainsi l’estimation de 194,7 millions d’Indonésiens vivant sous ce seuil international.
Dès lors, laquelle de ces deux approches est la plus fiable ? Tout dépend de la perspective adoptée. Le seuil de pauvreté national, établi par le BPS, est utile pour mesurer les progrès internes et pour élaborer des politiques publiques ciblées selon les réalités locales. Il reflète une dynamique socio-économique positive dans le contexte indonésien. Cependant, le seuil de la Banque mondiale permet une évaluation plus large de la pauvreté, intégrant non seulement la survie minimale, mais aussi la capacité réelle à mener une vie décente.
Il met en lumière la précarité dans laquelle vivent une majorité d'Indonésiens, même si ceux-ci ne sont pas considérés comme pauvres selon les critères nationaux. À ce titre, l'indicateur international offre une lecture plus rigoureuse et plus exigeante de la pauvreté réelle.
Mon anecdote personnelle : 2019, au sommet de la croissance économique
Je me souviens très bien d’une conversation en 2019, alors que le président Joko Widodo (Jokowi) affichait fièrement des taux de croissance économique supérieurs à 5 %. Un ami français qui venait souvent en Indonésie pour le travail m’avait alors interpellé avec étonnement :
« Comment peux-tu parler aussi négativement de ton pays ? La croissance est incroyable, les chiffres sont là, tout le monde voit que l’Indonésie est un modèle de développement ! »
Cette remarque illustre bien le décalage entre perception internationale et réalité sociale locale. Malgré des indicateurs macroéconomiques positifs, des millions d’Indonésiens vivent dans des conditions précaires, souvent en dehors des bénéfices de la croissance.
Causes et implications
Cette contradiction entre croissance économique et pauvreté généralisée s’explique par plusieurs dynamiques structurelles profondément enracinées.
D’abord, les inégalités territoriales demeurent marquées : les zones urbaines profitent d’infrastructures modernes tandis que de vastes régions rurales restent marginalisées. Ensuite, une grande partie de la population dépend d’un secteur informel précaire, privé de sécurité sociale et de revenus stables.
Par ailleurs, l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à un logement digne reste limité, en particulier dans les territoires reculés. Enfin, la hausse continue du coût de la vie pousse nombre d’Indonésiens, pourtant au-dessus du seuil de pauvreté national, dans une forme de précarité qui devient visible lorsqu’on applique des critères internationaux plus exigeants.
Repenser les priorités du développement
Pour sortir de ce paradoxe, il est crucial que les politiques publiques en Indonésie ne se contentent plus de viser la seule croissance économique, mais s’orientent résolument vers une redistribution équitable, une protection sociale élargie et une inclusion réelle des populations marginalisées.
La Banque mondiale, dans ses recommandations les plus récentes, souligne plusieurs priorités :
- Consolider et élargir les programmes de réduction de la pauvreté existants
- Garantir un accès universel et de qualité à l’éducation et aux soins de santé
- Intégrer progressivement le secteur informel à l’économie formelle en assurant des droits fondamentaux aux travailleurs
- Concevoir des systèmes d’aide sociale mieux ancrés dans les conditions concrètes des territoires et des populations concernées.
Conclusion
La situation indonésienne illustre que la croissance économique seule ne suffit pas à éradiquer la pauvreté ni à réduire les inégalités. Derrière la façade d’un pays émergent prospère, la réalité vécue par une large majorité reste marquée par la précarité et les difficultés quotidiennes.
Mon anecdote personnelle avec mon ami français rappelle que la perception extérieure peut être bien éloignée de la réalité vécue sur le terrain. Il est donc urgent que les politiques se concentrent sur un développement plus inclusif et équitable, pour que les fruits de la croissance profitent à tous les Indonésiens, et non à une élite.
Source :
https://www.cnbcindonesia.com/news/20250610062559-4-639542/data-terbaru-bank-dunia-200-juta-warga-ri-miskin