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Djalila Dechache

Auteure, chercheure sur l 'Emir Abdelkader l 'Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

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Billet de blog 4 mars 2023

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1000 ans de joies et de peines, Aï WEIWEI, Editions Buchet-Chastel, 2022, 418 p.

« Je veux résister à toutes les idéologies qui étranglent une société, résister à la bêtise, à l’étroitesse d’esprit. Car ces fléaux-là sont, eux aussi, universels » AïWeiWei.

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1000 ans de joies et de peines, Aï WEIWEI, traduction de l‘anglais et du chinois Louis Vincenolles, Editions Buchet-Chastel, 2022, 418 p.

« Je veux résister à toutes les idéologies qui étranglent une société, résister à la bêtise, à l’étroitesse d’esprit. Car ces fléaux-là sont, eux aussi, universels »AïWeiWei.

Avec son livre, autobiographie familiale et nationale, Aï WeiWei artiste international chinois, sculpteur, peintre, performer, designer, créateur d’installations monumentales, a pris le temps nécessaire pour nous raconter par le menu ce que sa famille a vécu sous le règne communiste.Il en fait une critique précise et aussi détaillée qu‘un archiviste.Le lecteur est abasourdi par sa mémoire particulière, les pratiques opérées depuis des décennies dans son pays, devenu la puissance mondiale que l‘on connait aujourd’hui, sa place stratégique dans l‘échiquier politique entre l’URSS et l‘oeil du cyclone américain, son rôle qui peut vaciller dans l‘horreur et qui fait craindre le pire du pire.Bien avant sa naissance l’auteur décrit tout d‘abord la vie de son père, Ai Qing, homme plutôt discret, qui se rendit à Paris en 1929, durant un périple de 35 jours pour étudier la peinture, un grand poète également, réduit de toutes parts, ami de Mao Tsé Toung qui ne s’est jamais rebellé, devenu un paria parce qu‘il défendait la démocratie, ce qui fit de lui l‘ennemi du socialisme, accueillant vicissitudes et châtiments que les membres du parti lui infligeaient :

(c)Ai Wei Wei

un avis, un mot mal compris suffisaient à le déplacer à des milliers de kilomètres en camp de travail, à vivre dans une grotte avec femme et enfants pendant plusieurs années, préposé au nettoyage de latrines, se faisant cracher dessus pour son « passé bourgeois » et autres humiliations. Soit quelques 20 ans de  prison au total.

Le sens de la famille est très fort en Chine, il n ‘est pas rare que plusieurs générations vivent sous le même toit, Ai Qing « mettait l‘écriture au dessus de tout , pourtant lorsqu’il perd son père, il ne se déplace pas pour son enterrement et le revendique  dans un poème p 49 : (…) «  Je n‘ai jamais fait un geste pour retourner au pays de crainte que les obligations familiales ne détruisent ma jeune vie. ».
D’autre part, il n’a pas hésité à demander le divorce à sa femme enceinte lorsqu’il rencontra une jeune fille de 17 ans et décida de vivre avec elle.

C’est ainsi que Ai Qing qui « aimait les enfants en a fait à chaque rencontre au cours de sa vie ».

Les femmes sont présentes dans ce livre fleuve : elles se courbent beaucoup sous le poids du travail, des travaux, des grossesses, peinent dans ce pays du silence.Certaines, artistes, se débattent dans un monde qui ne leur laissent pas de place et les renvoient à leur rôle de procréatrices.

On ne peut même pas dire que chacun vit comme il peut, chacun est sous l‘emprise du système communiste qui ne laisse aucun échappatoire, aucun répit, aucun appel d‘air. Des morts par millions jonchent la terre de ce pays si immense, de contrées où il n‘y a ni train, ni moyen de déplacement si ce n’est à pieds pendant 49 jours subissant  grand froid et faim, sans électricité, prison permanente pour tous, tout le temps. Avec ses opérations, ses travaux forcés, ses plans émis par les cadres du parti, le lecteur navigue entre collectivisme de l’agriculture, les mesures des trois drapeaux rouges, qui eurent pour conséquence de semer la famine puis la mort de millions de chinois entre 1959 et 1961, sans compter les exécutions sommaires.L’auteur a 4 ans en 1961; il a une perception déjà à vif, dans un pays lancé comme un cheval fou dans la course à la modernité par des moyens qui donnent la chair de poule d’effroi.« Mao Zedong lança la formule suivante « rattraper les Etats-Unis et le Royaume-Uni en 25 ans ou un peu plus » bâtir le socialisme de toutes ses forces, plus vite et mieux à moindre coût.La ligne générale, le Grand Bond en avant accélérant l‘industrialisation et la mise en place des Communes Populaires avec la collectivisation de l‘agriculture, formèrent les Trois drapeaux rouges brandis à travers le pays ».

(c)14000 gilets de sauvetage accrochés aux colonnes du Konzerthaus Berlin, février 2016)

500.000 intellectuels ont été soumis à la Réforme par le travail, 20 ans plus tard, 100.000 d’entres eux ont survécu. Le père est devenu un paria sans véritable raison, « à se taper la tête contre les murs, en pleine nuit ».

Autres formules du parti : «  sortir le serpent hors de son trou, campagne de Rectification, chasser les boeufs démons et les esprits serpents » …qui en disent plus long que des discours d’endoctrinement.

Avec son sens aigü de l’observation et de l‘écoute auprès de son père, son analyse pleine de lucidité, sa force intérieure Aï weiwei, a été formé à l‘art en exil à New-York dès 1981, après avoir reçu un « enseignement patriotique » et une « formation à la préservation des secrets », un guichetier de la Banque de Chine calcul la somme dont il aura besoin pour faire la distance entre deux villes, soit 30 dollars.

Après quelques menus travaux, il découvre le travail d‘Andy Warhol, se met au travail, entre dans une école d‘art,  trouve son style et sa manière d‘agir, ce qui lui vaut d‘être aujourd’hui un très grand artiste invité partout et reconnu.

Dans la postface, Aï weiwei explique que ce livre est né en 2011 après que la police l‘ait placé en détention et au secret.Il repense alors à la relation avec son père Ai Qing.Libéré au bout de 81 jours, sans accusation, il enregistre au magnétophone son histoire.Le résultat est remarquable, inouï aussi, il nous offre des années de vie, non pas seulement de l‘Histoire de son pays, mais de l‘histoire humaine que son père a traversé sans un mot plus haut que l’autre, et son histoire en dénonçant sans cesse, artistiquement et politiquement, un monde d’une grande injustice, le sien et celui, plus largement qui dégringole sous nos yeux. 

Aï Weiwei, est mondialement connu et apprécié pour ses oeuvres, ses performances, même si ses provocations le conduisent parfois en prison.Il a quitté la Chine, s’est mis à parcourir le monde en tant qu’activiste, portant son combat permanent contre le système chinois, son art et sa vision du monde lui valent de remportent une reconnaissance et un succès non démentis.L’homme prend des risques, il a tellement vu son père ployer sois le poids du diktat, son art est révolutionnaire, ses installations et sculptures témoignent de son temps, porteur du même message de liberté.Il a été arrêté en Chine, libéré sous caution.Désormais il vit en Europe avec sa femme Wang Fen et Ai Lao, leur fils.Le livre est émaillé de dessins signés de Aï Weiwei dont sa première brosse à dents et son gobelet émouvants. Son prénom a aussi une histoire : « Le père avait un gros dictionnaire, le Cihai (La mer des mots) au hasard, ferma les yeux, posa son doigt sur la page.

Il regarda, le doigt était posé sur le caractère Wei 未 qui signifie « pas encore » ou « à venir ».Appelons-le Weiwei dit-il. p124.

(c)Ai Weiwei Studio - DR

En mai 2001, j‘ai eu le plaisir de chroniquer un ouvrage dédié à l’artiste performer chinois, « Ai Weiwei艾未未, dans la peau de l’étranger », accueilli et programmé dans un bon nombre de pays, plus rarement en France. Une fois de plus, ce livre biographique dédié à son père, grand poète (1910-1996), écrit en chinois et en anglais, traduit en français, on est saisi par tant de justesse, de simplicité, de concision, de bonté, on l’entendrait presque dire ce qu‘il a écrit.

https://blogs.mediapart.fr/djalila-dechache/blog/220521/ai-weiwei-dans-la-peau-de-l-etrangereditions-actes-sud-2020

Aiweiweibook.com

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