Djalila Dechache (avatar)

Djalila Dechache

Auteure, chercheure sur l 'Emir Abdelkader l 'Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

Abonné·e de Mediapart

97 Billets

2 Éditions

Billet de blog 7 septembre 2023

Djalila Dechache (avatar)

Djalila Dechache

Auteure, chercheure sur l 'Emir Abdelkader l 'Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

Abonné·e de Mediapart

Les feuilles mortes, film d’Aki Kaurismaki 2023

Un film d’Aki Kaurismaki est toujours attendu, toujours un événement ! Présent lors du dernier festival de Cannes, il a  projeté son film avec une nouvelle distribution de comédiens et comédiennes.

Djalila Dechache (avatar)

Djalila Dechache

Auteure, chercheure sur l 'Emir Abdelkader l 'Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les feuilles mortes, film d’Aki Kaurismaki scénario, réalisation et production, France-Allemagne, 2023, 81 mn.Prix du jury et mention spéciale jury AFCAE festival de Cannes 2023.

Un film d’Aki Kaurismaki est toujours attendu, toujours un événement ! Présent lors du dernier festival de Cannes, il a  visionné son film avec une nouvelle distribution de comédiens et comédiennes.L’on s ‘était habitué au visage et au jeu de la superbe Kati Outinen du tout autant superbe Safari Kuosmanen, pour ne citer que les premiers rôles, du moins ceux que l‘on voit le plus à l’écran.Même de dos et pendant quelques secondes on reconnait à la voix, le comédien magnifique, présent dans plusieurs films, Sakari Kuosmanen.
Parce que pour Aki Kaurismaki tous les rôles sont importants.Souvenons-nous du sublime « Le Havre » ou « J’a engagé un tueur », ou encore « l ‘homme sans passé » et tant d’autres.Que des films qui ne s’oublient pas !.
Ici le ton est donné dès le départ, sans attendre, Ansa jeune femme au visage triste, seule, mal fagotée travaille dans un supermarché à ravitailler les rayonnages, sous contrat zéro heure et sans préavis.Une vie sans attrait ni joie, elle habite dans un immeuble à la désolation qui suinte sur la peinture écaillée, un appartement ultra modeste, un lit à une place, avec le strict nécessaire, seule fantaisie un tapis au mur représente une biche dans une clairière, écoute la radio qui diffuse les nouvelles de la guerre en Ukraine avec le nombre de morts, de blessés et d’effondrements. 

En fait, de Finlande, de France jusqu‘en Italie, l’Allemagne ou l‘Espagne nous sommes tous abreuvés jusqu’à la lie des mêmes informations en boucle et en cercles concentriques.Cela fait un drôle d’effet de l’entendre et de le voir même si on le sait. 

Par mesure d économie suite à son licenciement elle éteint tout ce qui est électrique chez elle.

Ansa rencontre Holappa, au nom qui sonne comme un sobriquet de ce jeune homme désoeuvré, triste, seul et alcoolique avec son blouson en cuir trop grand et usé. Il habite un conteneur entouré de barres HLM dans une gare de train quasi désaffectée avec un autre ouvrier qui se croit ténor, le soir ils se rendent au Karaoké du coin, dragouillent les filles et rentrent chez eux en titubant ou ivre mort.

Entre Ansa et Holappa va se jouer une rencontre silencieuse, une attirante empreinte de timidité, puis un jeu d’absence présence, de perte du numéro de téléphone, de beuverie solitaire…pour se retrouver enfin.On est dans Fragments du discours amoureux de Roland Barthes.

On s’attire, on avance, on recule, on se fuit et on se retrouve.

Le premier soir, ils vont au cinéma voir un film de zombies !pas très glamour pour draguer .il lui demande si elle a aimé le film , elle dit oui j‘ai beaucoup ri, il répond alors on va se revoir.!Tout simplement.

Ansa se donne du mal pour organiser un diner chez elle, achète deux assiettes, des couverts, une petite bouteille de vin mousseux, cuisine …, elle lui dit qu ‘elle ne veut pas d’alcoolique, référence à son père, à son frère et à sa mère, il répond qu ‘il ne veut pas être commandé  et s’en va ! 

Leur histoire sera éminemment romantique, sans mièvrerie, très intense par les regards et les attentes inscrites dans leurs yeux.Dans un Helsinki économiquement aminé, ils s’accrochent à des bulshits jobs pour gagner une misère.

La précarité et la solitude sont partout, tout le temps.Et l‘extrême dureté des patrons qui virent les employés séance tenante sur un ton très violent !

C’est tout le génie d’Aki Kaurismaki : on croit qu ‘il part de pas grand chose pour narrer une histoire sauf que tout est étudié, travaillé, pensé, dans les petites choses, des affiches et des références de cinéma sa grande passion, le rock des années 60-70, les juke-box, les chansons d’amour assez déprimantes, un lied de Schubert, des joueuses-chanteuses de Rock underground pas gaies du tout, les femmes assez déglingues dont celle qui est à la régie de la salle de Karaoké avec une choucroute blonde sur la tête, un maquillage et des vêtements vintage, les hommes boivent comme des trous, fument comme des pompiers, des tirades taillées au couteau, l’ensemble fait que ce film est une cascade de scènes drôles et d’émotions fortes. 

On rit .On s ‘émeut.On comprend.

La première fois où Ansa sourit c’est lors du bain d’un chien  errant qu‘elle recueille : enfin elle reçoit et donne de l‘affection ! L‘amour rend beau, « Même si j’ai acquis aujourd’hui une notoriété douteuse grâce à des films plutôt violents et inutiles, mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m’a enfin conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrir un avenir à l’humanité : le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre, en la nature et dans tout ce qui est vivant ou mort et qui le mérite. » Aki Kaurismaki.

Ce qui est beau aussi est que ce n ‘est pas le printemps qui est propice au renouveau mais l’automne et ses feuilles mortes, la caméra suit le mouvement, telle une danse, des feuilles rousses au sol tombées d’arbres, que le vent soulève et l‘on trouve cela si romantique, si beau, si léger…Il a fallu un peu de temps pour que Holappa comprenne le message d’Ansa : elle ne veut pas d’un alcoolique et lui ne veut pas êtres commandé ! Il faut donc trouver un équilibre ou se quitter .Ils se séparent un temps, celui de la réflexion et des vicissitudes pour se retrouver plus légers, souriants avec le chien Charlot !.

Aki Kaurismaki est un humaniste romantique, au regard plein de tendresse, avec ses acteurs beaux, déprimés, leur beauté ne se voit pas immédiatement, , des airs de James Stewart pour Holappa et Ansa si blonde si belle si sobre au teint diaphane dans un monde crasseux.

Il y aurait encore tant à dire sur ce si joli film, je ne le ferais pas au risque de casser la découverte, c’est un film où tout est dans le détail. Et des dialogues géniaux, c’est un film à voir, ressentir, à vivre, à aimer et à revoir.

Sortie en salles le 20 septembre 2023.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.