Marie-Louise Taos Amrouche,Passions et déchirements identitaires, Akila Kizzi Fauves Editions, Paris, 2020, 488 p.

©photo de couverture DR
Il est des livres qui ne vous lâchent pas de la première à la dernière page. Akila Kizzi actuellement chercheure-enseignante à l‘Université Paris VIII, a écrit l‘un de ceux-là, à partir de sa thèse de Doctorat située à l‘intersection de plusieurs domaines et thèmes, elle parle même d’intersectionnalité. Akila Kizzi propose une lecture et une analyse inédites de la vie et l‘oeuvre de Taos Amrouche (1913 – 1976).
Une vie tumultueuse et riche
La famille Amrouche a connu beaucoup de déboires en Algérie à commencer par la grand-mère Aïni, fille-mère de Fadhma, cette dernière épouse Belgacem tous deux kabyles convertis au christianisme par les Pères Blancs arrivés et installés en Kabylie depuis 1873, suivies des sœurs missionnaires de Notre Dame d’Afrique de Marseille.
Cette conversion aura des répercutions dès le départ et durant toute la vie des trois Amrouche si l‘on le dire ainsi, Fadhma-Marguerite la mère (1882-1967) et les enfants qui survivront, Jean ( 1906-1962) et Marie-Louise.
Concernant Taos Marie-Louise, elle connaîtra bien tôt le déchirement d’être chrétienne et kabyle, ainsi que son frère, son défenseur Jean El Mouhoub qui aura cette sublime phrase : « (…) quand je pleure c’est en kabyle ».
Le premier coup rude qu‘aura à subir Taos arrive lorsqu‘elle entre au pensionnat de jeunes filles à Paris. Elle remarque tout de suite la rigidité du lieu, le cadre très conventionnel des études et du personnel qui ne permet en aucun cas de sortir du rang, concrètement et par la pensée des pensionnaires. Taos transgresse, elle ne supporte pas les carcans, intellectuels qui plus est, se fait renvoyer et retourne en Tunisie où la famille s’était installée depuis 1910, fuyant les conditions difficiles en Algérie suite à leur conversion.
Taos se met à écrire, seul moyen pour elle d‘étancher sa souffrance : ni tout à fait algérienne-Kabyle ni tout à fait française. Elle n‘est pas la seule dans ce cas à cette époque, elles sont deux : Djamila Debèche (1926- 2010) première algérienne journaliste, elle aussi est ostracisée parce que considérée « assimilée française » encore une catégorie offensante, malgré son engagement féministe, ses efforts à vouloir éduquer en Algérie les jeunes filles notamment. Toutes deux se rencontrerons à Paris lors d’une émission de radio menée par Taos « L’étoile de la chance » du 5 décembre 1962.
Toutes deux écriront très tôt dans l‘Algérie coloniale, « Jacinthe noire » commencé en 1934, terminé en 1939, publié en 1947, livre référence d’un genre nouveau, sans pseudonyme pour Taos et « Leïla jeune fille d’Algérie » édité en 1947 également pour Djamila Debèche. Comme ce sont des femmes, leurs livres seront édités bien plus tard, après la deuxième guerre mondiale, après que des hommes aient écrits et édités les leurs.
Les deux auteures prennent le premier rang dans les ouvrages édités écrits en langue française. Cela ne se sait pas assez compte tenu de la chape de plomb sur Djamila Debèche en particulier qui la suivra toute sa vie.
Taos Amrouche poursuit son chemin en littérature auquel vient s‘ajouter celui de cantatrice a capella de chants berbères ou avec un seul instrument. Cet aspect de sa vie est vraiment important, elle existe enfin pleinement, recouvre son identité berbère, elle arrive sur scène habillée telle une reine de soie blanche et de bijoux kabyles composés de corail, d’émaux sur fond d‘argent ancien. Et puis sa voix, comme venue des entrailles de la terre retentit encore.
Elle parcourt le monde, s’y ajoute des conférences sur la langue et la culture berbère dont elle devient la meilleure ambassadrice. Nul n‘étant prophète en son pays, elle est considérée indésirable en Algérie lors du Festival culturel panafricain d’Alger de 1969, elle n’y est pas invitée. Elle s’y rend quand même et chante devant les étudiants de l’Université d’Alger.
Elle crée avec un petit groupe d’intellectuels, l‘Académie Berbère en 1966 à Paris. Cette année là elle édite chez Maspéro « Le grain magique » signé avec le prénom chrétien de sa mère qui lui a transmis un bon nombre de chants, de contes, d‘histoires ainsi que des éléments de la vie quotidienne rattachés au patrimoine oral.
Evidemment, il n‘est pas possible de rapporter ici le travail phénoménal dans son ensemble d’Akila Kizzi, tant il est dense et passionnant, à la fois très précis dans le travail de recherche qui lui a demandé six ans de sa vie mais il y aussi cette dimension affective dirais-je de l‘auteure, qui traverse le livre. Elle découvre Taos Amrouche lorsqu‘elle avait cinq ans en Algérie, avec Yemma, sa mère, préparant la galette du jour sur le qanoun, écoutait la radio d’où s‘échappaient les mélopées nostalgiques de Taos. Depuis Akika Kizzi fait une association symbolique entre les deux femmes kabyles.
On la comprend tout en prenant la mesure qu’un tel souvenir, si vivace, puisse avoir des retombées lors de l‘âge adulte, jusqu‘à déterminer un choix de vie.
On la remercie pour ce magnifique ouvrage, édité comme il se doit avec le plus grand soin par son éditeur avec des documents visuels en annexe, une abondante bibliographie de nature universitaire et on la remercie encore pour avoir partagé ce joli souvenir de son enfance avec tout le décor de la maison kabyle.
L'ensemble de l'oeuvre de Taos Amrouche est éditée aux éditions Joëlle Losfeld.