Autant le dire sans tarder, voici un chef-d’œuvre et pour l‘écriture et pour l‘histoire de cette romancière et scénariste qui le conduit de main de maitresse.
C’est une grande et belle surprise : on ne s’y attend pas, pris de court du début à la fin, Julie Peyr qui aime ses personnages, prend au cœur, aux tripes, sans effets ni frime, rien de tout cela, tranquillement elle a le regard aiguisé de l‘orfèvre au regard de laser avec une longueur d’avance lorsqu‘on lui apporte un bijou à réparer, elle observe et voit ce que l‘on ne voit pas, ou du moins ce que l’on voit que l’on chasse d’un revers de manche parce que ce sont des détails infimes, infimes sans doute mais tellement importants, tellement parlants.

A partir d’un fait divers réel, l’auteure a construit une fiction dont l’action se passe en province, loin des ors de la capitale dans cette France oubliée, démunie, sage et travailleuse, où il ne se passe rien d’habitude. Bien sûr il y a des jeunes, ce sont eux qui mettent un peu d‘ambiance dans les maisons et les dans rues « qui n‘étaient que monotonie et laideur », même s’ils jouent les gros bras, leurs rêves consistent à reproduire le schéma familial, avoir un peu d’argent, c’est déjà pas si mal, en se mariant ou pas avec une fille sympa, travailleuse et fonder un foyer avec des enfants. Et puis il y a une garnison proche à cette époque là en 1980 ce n’est pas si loin, le service militaire durait deux ans, deux ans c’est si long pour cette jeunesse déjà retirée de tout, de tout ce qui fait un jeune avec distractions, bars, bals et fêtes de village.
Dans ces familles les pères boivent, les fils attendent leur permission, les filles sont enceintes et les mères pleurent, « les larmes viennent de partout » et elles« se mouchent avec des mouchoirs en tissu ».
Comment accepter que votre fils soit considéré déserteur parce qu’il n‘est pas rentré de permission ? Oui, Jocelyne vous avez raison, c’est une insulte, une humiliation pour vous qui avez travaillé toute votre vie pour payer le crédit de la maison, qui avez élevé des garçons pour en faire de bons soldats pour la France.
Un de ces jeunes ne rentrera pas chez lui lors d’une permission, il se faisait une telle joie de rentrer, attendait la quille si proche comme un prisonnier attend sa libération, revoir ses parents, sa copine, sa vie en somme.
Le lecteur ressent toutes les émotions de cette femme, la mère, Jocelyne qui va prendre les choses en mains pour retrouver son fils. Face au laxisme et à l‘inertie de la gendarmerie qui « étaient trop bornés ou paresseux » et de l‘armée condescendante et froide, il faut bien le dire non seulement personne ne veut bouger mais en plus elle est reçue d’une manière qui inverse les rôles c’est-à-dire qu‘elle deviendrait coupable de cacher son fils, alors Jocelyne va mener l‘enquête, arrête son travail, se lance à bras le corps dans cette histoire qui va durer des années.
Elle est seule, très seule, son mari est dépassé, commence à se saouler jusqu‘à tomber ivre mort au café de la place, on l’appelle pour qu‘elle vienne le chercher en pleine nuit, il ne lui manquait plus que cela !
Jocelyne craque aussi, cela ne dure pas, elle se rattrape parce que tout repose sur elle, elle le sait bien, elle n’a pas le droit de faiblir. Cette histoire va faire l’effet d’un révélateur sur la famille, les autres enfants lui font des reproches sur l’éducation reçue, comme si c’était le bon moment pour cela, il n‘y a pas de bons moments en vérité pour vider son sac.
Ce qui frappe encore une fois c’est l‘écriture, une écriture où chaque personnage est tellement finement ciselé, au caractère filigrané que le lecteur peut les voir en vrai.
A tel point que par moments l‘auteure se confond avec l‘histoire, elle devient un personnage absent-présent. C’est une sensation rarement vécue.
On a la tête pleine de toutes les émotions de ce livre fort, émouvant, juste, Julie Peyr donne une magistrale leçon d‘écriture et par dessus tout une magistrale leçon de vie avec un sens du suspense, sa manière de distiller des détails (le fil rouge de la pelote de laine, la corneille qui s’écrase et meurt dans la chambre du fils) qui sont autant de signes vers la résolution fatale de cette histoire qui n’a pas été prise de bonne manière à son début.
A un moment donné, on se surprend à lire avec parcimonie, on s’attache aux personnages de cette famille, à ce jeune homme tranquille qui a disparu et d’autres qui vont suivre, on prend la mesure de ce qui se passe, on se met à leur place, l’empathie circule.
L’injustice est palpable, une claque au visage : N’a-t-il pas fallu au parquet plusieurs années après les premières disparitions avant d’ouvrir une enquête ?
On comprend bien qu‘il y a une justice à plusieurs vitesses. Cette histoire c’est le combat aussi de la ville et de la campagne où les autorités de la capitale ne font pas grand chose pour les petits, comme un système de classes qui ne dit pas son nom.
Je suis très reconnaissante à l’éditeur de m‘avoir envoyé cet ouvrage et à l‘auteure, Julie Peyr pour ce livre qui est bien plus qu‘un livre.
Elle mérite largement le prix Goncourt voire plus encore pour toutes ces raisons et surtout parce que c’est une vraie écrivaine qui entraine le lecteur, loin très loin...