Héritage, Miguel Bonnefoy, Editions Rivages, 2020, 256 p.

Comme le précise le texte de la 4ème de couverture, ce roman est « une fresque sur trois générations d’intrépides partis se faire un destin de l‘autre côté de l‘océan atlantique, en Amérique latine ».
Très agréable à lire, ce livre se découvre au fil des pages dans un style frais, captivant, précis et romanesque, savamment dosé entre « réel et baroque » selon l’expression de l‘auteur ou encore réel et surnaturel évoquant son histoire quasi familiale.
Qui avait dit que les sagas romanesques de qualité n‘existent plus et ne correspondent plus à l‘air du temps ?
Miguel Bonnefoy apporte la preuve réjouissante du contraire depuis son premier opus en 2015, puis le second en 2017 et aujourd’hui celui-ci. Le prochain est en cours.
Enfin un auteur, un écrivain qui écrit vraiment, capable d’emporter le lecteur qui tranche avec cette effusion de livres mièvres, narcissiques et creux sur les étals des librairies et d’émissions pseudo littéraires réunissant une poignée de personnes, toujours les mêmes, depuis plusieurs années. Pire, ce système voudrait nous enfermer dans une conception de la vie mortifère.
Chaque chapitre est consacré à un personnage du récit et ses interactions avec les autres personnages.
Il y est question d’un homme natif de Lons-le-Saunier, dans le Jura, vers 1870 devenu par le douanier de service, le dénommé Lonsonier qui arrive au Chili à Valparaiso avec un maigre bagage, un pied de vigne et 30 francs dans la poche. C’est presque rien pour un voyage aussi long. Il y est question aussi de la montée du nazisme en Europe, de volière et d’oiseaux fabuleux, de pampa, de musique, de vigne, de deux guerres mondiales, de fantômes bien réels, d’un guérisseur mystérieux venu de la montagne, d’urbanisation naissante des villes, d’amour bien sûr bien qu‘il ne tienne pas la première place, l’amour est présent de manière discrète, l‘amour se situe ailleurs tout comme la vérité sans doute.
Il y est question enfin d’odeurs de bleuets, de coriandre, d’ambre et de mélasse, de myrrhe aussi... qui enivrent voyage.
Il y a aussi Margot Duhalde, devenue Margot Lonsonier que le lecteur suit dans ses tentatives à faire démarrer un vieil avion poussiéreux, véritable figure historique bien connue du peuple chilien.
Miguel Bonnefoy est parti du réel pour construire ce personnage attachant si méconnu. Elle est la première femme franco-chilienne à avoir combattu durant la seconde guerre mondiale dans la Royal Air Force. Et l‘on suit ses débuts et sa foi inébranlable dans l‘aviation. Une pionnière méconnue !
Cette même Margot, dans le roman, enfantera avec un mort pas tout à fait mort. A la question de son enfant « Qui est mon papa ? », elle répondra : « C’est moi !».
D’autres personnages tout aussi attachants voire lumineux entrent en scène tel que le soldat allemand Helmut Drichman, Illario Da, Lazare, Thérèse…
Pour le migrant qui fait le voyage Est-Ouest, il lui est plus favorable que celui qui part du Sud vers le Nord, même s’il est évident sait que ces déplacements ne sont pas de même nature et de même intensité. Les uns apportent la plupart du temps un savoir-faire lorsque d’autres représentent de la main-d’œuvre à moindre coût.
Une date fatidique qui ébranla le monde
Les personnages renvoient à des personnes réelles nous l‘avons souligné. Ce sont des inventeurs, des intrépides, des entêtés libres dans leur âme. Ils et elles ont tous inventé, crée quelque chose. Impliqués de près ou de loin dans le renversement politique, basculant dans la dictature Pinochet suite au suicide du président chilien Salvator Allende (1908 - 1973) qui fut le seul espoir d’une vie meilleure et juste dans cette partie du monde, terre d’accueil de ce pays longeant la Cordillère des Andes.
Une fois la dernière page lue, consommée, visualisée « Héritage » suit le lecteur plusieurs jours durant tel un halo de lumière, justifiant une nouvelle lecture.
Pour écrire son livre Héritage, Miguel Bonnefoy a lu des biographies passionnantes d’aviatrices : Amelia Earhart, Adrienne Bolland, Maryse Bastié qui sont devenues des noms de station du tramway T3, et des livres d’aviateurs, de Saint-Exupéry à Kessel ou encore Roland Garros.
C’est avec plaisir que je cite la citation de George Santayana, un auteur fécond, en ouverture du livre : « Ceux qui ne peuvent se rappeler leur passé sont condamnés à le répéter ».
Miguel Bonnefoy a bénéficié d’une résidence d’écriture pour ce livre à la Villa Médicis en 2018-2019.Le prix des Libraires lui a été décerné en 2021.