L’artiste en petites choses, Patrick Reumauxillustrations deNoël Tuot, Editions Klincksieck, collection de natura rerum 248 p, 2020.
A vrai dire, ce livre n‘est pas du tout comme les autres. Totalement iconoclaste, il n‘aurait pas pu être édité ailleurs que dans la merveilleuse collection de natura rerum de la maison d’éditioncréée à Paris par Friedrich Klincksieck en 1842 dont les ouvrages «questionnent les œuvres d'art et l'expérience esthétique, donnant naissance à un riche catalogue dans les domaines de la théorie et de l'histoire de l'art – de l'Antiquité au contemporain, des arts graphiques au spectacle vivant ».

Une fois ceci posé, nous ne sommes pas encore dans le concret de l‘ouvrage de Patrick Reumaux.
Une vie richement singulière.
Derrière toutes les catégories de papillons et de champignons, celle du temps en terme de durée et autres règnes de la terre, il y a cette vie d’homme multiple, véritable tout à tout transformant ce qu‘il approche en or, que ce soit la poésie, le roman et l‘essai, tout à la fois mycologue, naturaliste, plaçant l‘amitié à un haut niveau comme sa grande et féconde érudition. Avec André Dhôtel par exemple qui sera sont professeur pour son ami il nouera une amitié vivace et régulière. De plus il est traducteur de nombreux écrivains anglais, irlandais et américains dont Emily Dickinson et Emilie Brontë notamment qu’il donne envie de connaître davantage avec des citations répétés.
C’est ce que ce livre est truffé de références littéraires, poétiques, musicales, d’observations et de remarques utiles à tous, de délicatesse et de beautés partagées. Et c’est tout un monde insoupçonné qui se découvre au fil des pages de ce livre que le lecteur ne peut plus quitter.
Ici, dans ce texte, les personnages sont les papillons et les personnages humains des amis de l‘auteur. Et le rien, nul ne le voit, sauf les chats dit - il ! Voilà qui déplace le regard sur les choses inanimées et les êtres vivants. Que d’écrivains ont vanté la compagnie des chats ! Et pour cause.
D’ailleurs s’il fallait noter les références en liste, cela demandera du temps et de la place, beaucoup de place !
Qu‘il soit né à Alger, et a vécu dans le quartier perché, aisé d’El Biar, indique que sa sensibilité s’est nourrie de sensations, relations, odeurs, couleurs et images de ce pays méditerranéen attachant, si cher à l‘auteur, dont l‘essence nourrit et traverse l’œuvre. On en perçoit des bribes ici et là, enfouies, entrelacées dans la nature sauvage de sa région du Loiret.
Mine de rien, « en petites choses »,il s’en passe dans cet ouvrage avec des trouvailles, des néologismes, des formules, des pirouettes, des surnoms ( élève-chien, la panthère…).Sa vie est peuplée, énormément peuplée sans compter tout ce qu‘il a déjà mis au jour (voir son étonnante bibliographie) et ce qu‘il n‘a pas encore défriché…
Quand le temps s’arrête.
« Mais il faut que je parle de ma maison »…
C’est avec une phrase traduite d’un livre d’Emile Brontë que Patrick Reumaux narre cette expérience d’arrêt du temps.
Par un procédé littéraire, humain et celui du traducteur dont il a le secret, il entraine le lecteur à la fois dans le livre où « on enterre beaucoup aussi chez les Brontë »,dans le ventre de la traduction et dans une scène réelle d’enterrement dans son village ! c’est à ce moment précis, à la jonction de ces strates que le temps s’est suspendu, arrêté ! c’est fascinant.
Et de déclarer que « pour changer le monde, il suffit que le temps s’arrête ». il suffit, il suffit …comme tout devient simple !
Et, quoi, le poète serait-il enfin plus fort que le politique ? De très belles pages à lire et à vivre.
L’ouvrage de Patrick Reumaux d’une richesse incroyable et peu commune, s‘apparente à cette citation : « Vous tendez une allumette à votre lampe, et ce qui s'allume n'éclaire pas. C'est loin, très loin de vous, que le cercle illumine ». RenéChar.
Les illustrations de Noël Tuot, dont une bio succincte figure en fin de volume, apporte énormément au contenu par une traduction délicate de dessins d’êtres vivants méconnus, inventés ou peut-être à venir.