La bête, un conte moderne de Yasmina Benabderrahmane, artiste plasticienne, jusqu’ à fin août 2020, LE BAL, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris / T – 01 44 70 75 50 / www.le-bal.fr
Après avoir lu l‘article de Guillaume Lasserre sur Mediapart du 8 août dernier, j’ai eu envie d’aller visiter l‘exposition.
Utiliser l‘intime familial, en parallèle au puissant monde occidental qui pour toutes choses créent des machines et tuent l‘homme, est un moyen intéressant pour poser une problématique en palimpseste.
En une quinzaine d’écrans savamment disposés sur deux étages, le visiteur pénètre un monde assez étouffant, avec en bruit de fond permanent le grondement de la bétonnière, avaleuse de gestes et de forages, là-bas au fin fond du Maroc, au village de Bouregreg, terre d’argile et de potiers.
L'origine du mot vient de l'importante population de cigognes présente dans la vallée du fleuve. "Bou" est une désinence de possession et "Regreg" signifiant cigognes. Elles ont du apprendre à la population de partir et de revenir, à la manière de l‘artiste Yasmina Benabderrahmane, retournée au Maroc en 2012.
Le projet de la Vallée de Bouregreg a été initié par le Roi du Maroc en 2014 pour faire de la région un pôle de tourisme culturel. Le théâtre, tel un vaisseau spatial futuriste est signé de la grande architecte irakienne, Zaha Hadid, récemment disparue. Le Maroc est entré dans l’ère du gigantisme.
La bête dans la jungle du béton
La salle du sous-sol est une antre, l‘antre du chantier, de la machine et l‘antre de la maison où des gestes menées par une femme, sa grand-mère de l‘artiste, déclinent la manière de mettre du khôl, du henné pour la nuit sur les pieds, de préparer entrailles et viscères du sacrifice du mouton de l‘Aid, étendues sur un fil de terrasse comme du linge.

Yasmina Benabderrahmane La Bête, un conte moderne © Yasmina Benabderrahmane .ADAGP, Paris, 2020
Des écrans montrent des paroles écrites en langue arabe et traduites en français.
La démarche est intéressante, il faut en passer par l‘origine pour tout commencement, elle aurait pu l‘être davantage si l‘artiste avait donner voix à cette dame que l‘on voit s‘activer dans son quotidien et si les écrans de dialogues avaient été sonorisés.
De même celui où l‘on voit un gros plan, une main de femme tenant un chapelet transparent, le cliquetis des grains et la voix murmurée auraient été bienvenus et auraient contrebalancé le bruit qui rend fou de la machine.
Quoi de plus structurant que la langue pour parler de soi, de l‘intime, se projeter, se défendre, être.
Parce que « la terre se transmet comme la langue » de Mahmoud Darwich et que la langue nul ne peut nous en défaire, ni rien ni une bétonneuse, elle nous appartient à jamais.
C’est un acte de résistance comme ceux de la grand-mère,qui n‘a pas peur, « filme moi, je n‘ai rien à perdre rien, je suis vieille ».
Yasmina Benabderrahmane est lauréate du Prix LE BAL de la jeune création avec l‘ADAGP (Société française de perception et de répartition des droits d’auteur dans le domaine des arts graphiques et plastiques) pour l‘année 2019.
Créé par Raymond Depardon Président Fondateur et Diane Dufour en 2010, LE BALest dédié à l‘image contemporaine sous toutes ses formes. On y enseigne depuis 2008, La Fabrique du Regard par des programmes spécifiques en direction de jeunes issus d‘établissements scolaires. Un lieu à visiter.